Le ministre de l'Industrie ne reconnaîtrait plus l'autorité vacillante du Premier ministre, préférant ne se référer qu'à l'entourage direct du président de la République pour faire adouber ses choix dans la conduite de son secteur. La double casquette que porte le vice-ministre de la Défense et chef d'état-major, les couacs diplomatiques que génère le «bicéphalisme» au ministère des Affaires étrangères sont d'autres «aberrations» que doit se coltiner Abdelmalek Sellal. Désobéissance et indiscipline. L'équipe gouvernementale étale au grand jour des dissensions. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, ne tient plus «ses troupes». Son autorité est mise à mal par des «superministres» sur lesquels il n'a aucune emprise. Le locataire du palais Docteur Saâdane apparaît de moins en moins comme un chef de file qui imprime sa propre marque à un gouvernement caractérisé par une incohérence évidente. Son effacement du devant de la scène s'apparente à une «mise à l'écart» à peine voilée. Le malaise est évident. De fait, des ministres ne cachent plus leur «insubordination», confie-t-on dans l'entourage du gouvernement. Le cas le plus édifiant est celui du ministre de l'Industrie, Abdessalem Bouchouareb, qui ne jure obéissance qu'au chef de l'Etat. Le désaccord du Premier ministre avec la «politique» que mène son ministre de l'Industrie ne fait plus mystère. Mais ce qui exaspère le plus Sellal, ce sont les décisions prises par Bouchouareb concernant le management de certaines entreprises publiques. Le récent limogeage, séance tenante, du patron du groupe pharmaceutique Saidal, Boumediène Derkaoui, a été le pas de trop. Selon des sources proches du gouvernement, «non seulement Sellal s'est opposé à cette décision, mais il n'a même pas été consulté au préalable». Bouchouareb, «Premier ministre bis» Il ne fait que constater les dégâts. Ce qui fait dire à certains initiés que le ministre de l'Industrie se comporte «en Premier ministre bis». Mais bien avant cet épisode, il y a eu «l'affaire Rebrab». Dans la guerre qu'il a menée contre le patron de Cevital, Bouchouareb a presque «forcé la main» à Sellal pour qu'il le suive dans cette croisade économique. En somme, Le Premier ministre n'arrive plus à le contenir malgré ses multiples recadrages vains et qui sonnent comme un affaiblissement de son pouvoir. Certains observateurs se demandent ce que fait encore Abdelmalek Sellal au gouvernement. «Quelqu'un d'autre, à sa place, aurait déjà démissionné», lâche un proche. Osera-t-il le faire un jour ? Pas si sûr, tant Sellal n'est pas connu pour être un homme politique porteur d'une doctrine qui jette l'éponge s'il est contrarié dans sa stratégie. Issu de l'appareil bureaucratique national, Abdelmalek Sellal éprouve des difficultés à travailler avec des politiques, préférant les ministres au même parcours que lui. D'où le dosage du dernier remaniement qui a vu l'arrivée en masse de ministres venus de l'administration, sans attache partisane ni parcours militant. Une tendance à «techniciser» le gouvernement en lieu et place d'une équipe politique cohérente, issue d'une majorité et porteuse d'un projet. Pour revenir à ses bisbilles avec Bouchouareb, il est vrai que depuis toujours, les deux hommes aux profils opposés ne faisaient pas bon ménage. «Sellal compose mal avec des ministres issus des partis politiques, jouissant d'un certains charisme et qui lui font de l'ombre. Amara Benyounès en fait les frais à cause de ça aussi», a fait remarquer un ancien ministre. Avec Bouchouareb, le malaise est encore plus frappant en raison de la proximité de ce dernier avec l'entourage immédiat du chef de l'Etat. Avec le frère cadet du Président, il forme l'ossature de la décision économique. Une position qui lui procure une influence et un pouvoir supérieur à celui du Premier ministre, à qui par ailleurs il veut succéder. Il ne fait plus mystère de ses ambitions. A la manœuvre depuis quelques mois, Bouchouareb travaille minutieusement pour accéder à la primature. Il ne s'en cache plus. Il s'avère, à mesures de lois, qu'il est le ministre qui imprime les orientations économiques de l'Exécutif sans laisser aucun «choix» au Premier ministre. Couacs, désaccords et fausses notes Les couacs et les désaccords au sein d'un gouvernement où rien ne va plus rythment la chronique de l'Exécutif. L'autre membre du gouvernement qui n'a jamais reconnu l'autorité de Sellal est bien le vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, qui cumule la fonction de chef d'état-major. Il est de notoriété publique que le chef des Tagarins voue «une indifférence à la limite du mépris à l'égard du Premier ministre», confie un ancien de l'équipe Sellal. Alors qu'il est membre de l'Exécutif, Gaïd Salah n'assiste pas aux réunions du gouvernement et surtout ne rend de compte qu'au chef de l'Etat. Bien entendu, il n'est jamais venu à l'esprit de Sellal de recadrer le vice-ministre de la Défense. Cette situation ne l'embarrasse pas outre mesure, alors qu'à l'égard d'autres, il ne cesse d'exprimer «son mécontentement». C'est le cas avec le chef de la diplomatie, Ramtane Lamamra. Sellal vit mal l'émergence fulgurante du ministre des Affaires étrangères. Par sa maîtrise de ses dossiers et sa forte présence dans les négociations internationales, Lamamra fait figure de ministre hors catégorie. Ces performances sont paradoxalement mal appréciées en interne, d'où la tentative de réduire son champ d'intervention à la faveur du remaniement rocambolesque de la mi-mai 2015. Profitant d'une méfiance naissante au sein du clan présidentiel vis-à-vis du chef de la diplomatie, Sellal avait carrément «demandé sa tête». Entre les deux hommes, le courant est rompu. Hormis les exigences du protocole, ces deux anciens énarques «ne se parlent plus», confie un ex-fonctionnaire des Affaires étrangères. Autres signes d'une équipe gouvernementale aussi incohérente que divisée : les permanentes divergences de vues entre Ramtane Lamamra et le ministre chargé des organisations régionales, Abdelkader Messahel. Ce dernier a souvent critiqué la stratégie de son collègue des Affaires étrangères, notamment sur la gestion des dossiers libyen et malien. Et Sellal n'est plus en mesure d'assurer les arbitrages, ces dossiers semblent hors de sa portée. Son autorité étant bafouée, il n'arrive plus à «protéger» certains de ses ministres des «pressions et ingérences» externes. «Le patron du FCE s'autorise à solliciter des audiences aux ministres pour la mise en place des fameux comités mixtes sans passer par la chefferie du gouvernement. Effrayé par un coup de fil du président du FCE, un des ministres s'en est plaint auprès de Sellal, mais visiblement ce dernier n'a pas pu faire grand-chose», rapporte un ministre en exercice. En somme, le Premier ministre, certes affaibli par une Constitution qui fait de sa fonction un coordinateur de l'action du gouvernement, donne de plus en plus l'impression d'un chef sans autorité, à la capacité de contrôle drastiquement réduite. Il est vrai aussi que sa personnalité, son caractère et son style y sont pour beaucoup. En l'absence du véritable chef de l'Exécutif en la personne de Bouteflika, l'autorité du gouvernement — dont la majorité est issue de l'administration — est sérieusement érodée, alors que le contexte politique et économique exécrable exige une rigueur à la hauteur de la crise.