Le professeur Boulbir Laâla, enseignant à l'université d'Oum El Bouaghi, expert foncier, urbaniste et architecte, tente d'apporter des réponses à travers son expertise sur la problématique liée au foncier industriel. Croyez-vous que le «guichet unique», institué à l'échelle locale, va rationaliser et moderniser la gestion publique du foncier et apporter les bonnes solutions à la crise foncière que vit l'investissement en Algérie depuis son avènement ? Les différentes réformes ayant touché au foncier industriel s'attaquent exclusivement aux aspects juridiques et pragmatiques de la crise. Elles s'accordent à évacuer la dimension sociopolitique inhérente au foncier, ce qui empêche ces réformes d'aboutir. Le pouvoir cherche depuis 1994 à déroger aux règles du marché par des subterfuges transitoires (Comité technique, CALPI, Calpiref...) et des stratagèmes en confiant à la machine juridico-administrative la mission d'organiser un retour subtil à la monopolisation du contrôle de l'accès au foncier économique. Le «hasard moral», source du clientélisme, est institué comme mode privilégie de prise de décision au sein des institutions foncières. Comme vous le savez, en Algérie le foncier est un champ social non-autonome, sous-tendu par des conflictualités et des enjeux de pouvoirs qui rendent les conditions de son contrôle et appropriation très controversées. Ceci explique-t-il la récursivité des crises et les incessantes bifurcations ? Le corpus juridique est en gestation et change de posture à un rythme inquiétant (3 ans en moyenne) faisant empiler sur son parcours unilatéral des règles et des institutions qui coexistent sans s'emboîter. Cette instabilité et complexité du système foncier en Algérie sont pathogènes et créent de l'incertitude. Elles risquent de générer à terme un chaos foncier. Donc, pour vous la crise du foncier en Algérie est une crise éminemment politique et n'a rien à voir avec des conditions objectives, comme la rareté foncière ou l'incompétence des instances en charge de ce dossier ? Oui, la crise de l'offre foncière économique en Algérie a pour origine une crise de légitimité, mais qui n'est malheureusement pas présentée en tant que telle par les pouvoirs publics. Les enjeux de pouvoirs empêchent la mise en place d'une réelle gouvernance foncière, que ce soit en direction des territoires ou des investisseurs, susceptible de permettre aux acteurs concernés de participer au processus de prise de décision. Ce déficit démocratique est à l'origine du blocage du système de production foncière et de la mauvaise gestion publique du foncier économique. Le pouvoir politique a toujours vu dans l'offre foncière une façon de restaurer et d'entretenir son autorité, sa suprématie patriarcale et sa domination. C'est la raison pour laquelle il maintient coûte que coûte ce monopole entre ses mains. Il y va de sa survie et de sa légitimité fordiste. Le foncier et le logement sont des sources de révolution et donc de légitimation que les régimes autoritaires manipulent toujours à leur avantage, que ce soit en Syrie ou en Egypte et dans de nombreux pays arabes et africains. Ceci explique la mise à l'écart des forces sociales et spéculatives et leur mise en situation de précarisation et de clientélisation à travers des régimes fonciers appropriés (concession). Le problème en Algérie est que le système de pilotage des ressources peine à se moderniser pour gagner en efficacité, les résistances au changement institutionnel au sein du sérail empêchent les quelques personnalités ministérielles de redorer le blason du système terni par la bureaucratie et le clientélisme. Ce qui donne au système de gestion une posture passéiste ou du moins hybride. Depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, l'on ne cesse d'évoquer cette question de modernisation qui aurait touché de nombreux secteurs, comme le tourisme (2003), l'industrie (2007), et à un degré moindre l'habitat (2011). Croyez-vous qu'un réel changement s'est opéré depuis dans la conduite des politiques publiques ? Je crois que l'on a reproduit plus de discours que d'action, pôles d'excellence touristique, Technoparc, ZIDI, ZEST, autant d'arrangements territoriaux qui n'ont pas abouti à ce jour et ne pourront pas à mon sens impulser un réel processus de développement économique ou territorial. Leur logique de polarisation et d'îlot de modernité ne permet pas la diffusion équilibrée du développement. Les stratégies sectorielles et territoriales n'ont pas été consensuelles au sein du gouvernement. A la «région» en tant qu'échelle d'intervention et pouvoir de commandement, et toujours faute de consensus, l'on préfère un espace de programmation au Schéma de l'espace de programmation territoriale (SEPT) et à la technologie de pointe l'on privilégie les ronds à béton ou simplement l'importation. Il faut dire qu'au sein du pouvoir, deux courants traversent ses rouages étatiques, l'un conservateur accroché aux vertus de l'administration jacobine et régalienne qui cherche à normaliser le champ social en conférant aux walis le contrôle de l'accès au foncier et autres ressources. Le second courant, quant à lui, se dit réformateur, cherchant à moderniser l'administration et à intégrer les vertus du «new mangement» à travers la délégation et la contractualisation des rapports fonciers, donnant lieu à la mise en place d'agences nationales de promotion ou de régulation. Mais les deux courants, s'ils s'opposent sur les aspects organisationnels, s'accordent vite sur les grands enjeux en termes de contrôle discrétionnaire de l'accès aux ressources et rentes. La preuve est là, si le pouvoir invente les fonctions de médiation, dans le cas des agences foncières locales ou d'intermédiation pour le cas de l'Aniref, ce n'est pas seulement pour faciliter le rapport entre territoires et investisseurs, qui n'est nullement conflictuel, mais tout simplement pour mieux contrôler et dominer ces parties prenantes, qui risquent de lui échapper dans le cadre de la mondialisation. De plus, pourquoi mettre en place un observatoire ou une agence si ces institutions ne bénéficient pas de l'autonomie et l'indépendance à même de réguler le champ foncier. L'observatoire est placé sous la coupe de l'Aniref, elle-même missionnée pour un département ministériel. La réforme foncière de Temmar n'a fait qu'externaliser des fonctions administratives vers des organismes de mission, qui restent toujours sous contrôle administratif. En définitive, ce sont les mêmes règles avec des formes différentes ou judicieusement apprivoisées qui donnent à consommer à petites doses un changement illusoire et factice, comme ces assises folkloriques qui deviennent ces derniers temps à la mode pour donner une certaine légitimité aux politiques sectorielles. Le guichet unique local sera-t-il coiffé dans la même logique centralo-centriste, favorisant ainsi l'opacité et le clientélisme ? Mais pourquoi voulez-vous que les choses changent ? Les mêmes hommes produisent les mêmes règles et les mêmes comportements ! Dans les situations de crise, le foncier est une ressource potentielle pour renforcer les alliances et la fidélité. L'oligarchie est la partie gagnante du nouveau jeu qui va s'enfermer. Un ex-wali d'Annaba l'a si bien dit, en s'interrogeant sur ce qu'un chef de l'exécutif aurait à offrir lorsque le prix du pétrole avoisine les quelques dollars : «Est-ce autre chose que le foncier » ? Rien ne va changer, le rapport entre l'administration et les investisseurs continue à se pratiquer par l'intermédiaire de quelque chose, une interface discrétionnaire, soit un guichet, permettant aux administrateurs d'avoir toute la latitude d'avantager l'un ou l'autre (administré). Tant que la société n'exerce aucun contrôle sur ces boîtes noires, les comportements déviants seront la règle. La composition du GUL est totalement administrative, les règles de fonctionnement et d'éligibilité, le processus de décision continuent à être régis par le «hasard moral». Après l'échec foncier des GUD (ANDI) créés en 2001 et réduits à des guichets d'octroi des avantages fiscaux et parafiscaux, les nouveaux GUL, placés sous la coupe du wali, réussiront-ils à solutionner la crise foncière de l'investissement ? Si le dispositif Calpiref intègre la mission de régulation, en cherchant à sélectionner les projets d'investissement en fonction de sa stratégie de développement, le GUL vise plutôt la promotion pure et simple de l'investissement et risque de se transformer, en l'absence d'une réelle gouvernance, en un comptoir redistributif pour la nouvelle oligarchie. La vocation de ce guichet n'est pas stratégico-régulatrice, celle de développer des stratégies sectorielles et territoriales, c'est un simple outil d'accompagnement des investisseurs et de prestation de service en termes d'offres foncières, sans articulation aux autres acteurs (ANDI, ANDT, Aniref, ..). Pourquoi vouloir à tout prix déposséder ce dispositif de toute portée stratégique à même d'orienter les investissements et donner un cadrage aux projets privés qui ont tendance à s'inscrire dans le tertiaire et le court terme ? Est-ce parce que cette compétence a été à l'origine d'un blocage de l'investissement ? Quelle interprétation donneriez-vous à cette nouvelle tendance ? Lorsque l'administration est passée au pouvoir en 1992, elle a fait comprendre au peuple que les activités politiques et économiques sont malsaines. Les élus privilégient les intérêts partisans, et les bourgeois militent pour le profit personnel, seule l'administration et les cols-blancs œuvrent pour «l'intérêt public». D'où cette obsession de donner à la chose publique un habillage purement administratif et juridique et lorsque les choses tournent mal, un ministre du sérail déclarera : «On efface tout et on recommence». On demande aux fonctionnaires et chefs d'EPE d'être de simples agents, au risque d'être pénalisés dans leurs actes de gestion. L'administration n'évalue pas, ne réajuste pas ses actions, ne s'adapte pas, et si les choses bloquent, on tire la chasse d'eau et on recommence à bâtir. Les réformes foncières en Algérie ne s'inscrivent pas dans des politiques publiques foncières, c'est-à-dire dans des stratégies qui partent d'un diagnostic, d'un retour sur expérience, sur des objectifs et des enjeux. La réforme foncière se résume à la formulation juridique de règles normatives qui s'empilent les unes aux autres reproduisant un mal juridique français. Le droit est instrumenté pour donner une forme subtile à des intentions et activités politiques liées au contrôle de la terre. Le gouvernement Sellal apporte de nouvelles règles qui cherchent à faciliter la tâche à l'investissement, le GUL vise l'intersectorialité et la déconcentration, les walis retrouvent leurs fonctions de décideurs. Croyez-vous dans ces conditions que les choses vont s'améliorer pour l'investissement ? Les personnalités phares du système se sont éclipsées, la crise restaure les pouvoirs des walis. C'est la revanche de l'administration, le pouvoir central n'a plus les moyens de budgétiser le jeu foncier et économique et doit confier la gestion foncière aux walis, qui devront s'appuyer sur l'économie foncière pour actionner la machine. Du côté du patronat, les choses ont évolué depuis le départ de l'ancien patron (Reda Hamiani), plus question de raisonner par intermédiation, l'oligarchie peut se servir directement au guichet sans aucun problème. Le seul problème est que ces parties prenantes n'ont pas un réel projet pour l'Algérie !