Indigènes, le film de Rachid Bouchareb, sort ce mercredi en France et vendredi en ouverture du Festival de Namur, après l'historique « standing ovation » au Festival de Cannes et le prix collectif des meilleures interprétations masculines. Très ému par le film, le président Chirac a ordonné qu'on règle le retard de pensions des derniers survivants... parmi les vétérans. Monica Belucci était montée au créneau pour dire la grande émotion ressentie par le jury après la projection d'Indigènes à Cannes. Le 28 mai, l'annonce du palmarès du 59e Festival de Cannes avait en effet créé une sensation. Devant Rachid Bouchareb, très soulagé, ses acteurs Roshdy Zem, Samy Nacery, Djamel Debbouze, Sami Bouadjila, Bernard Blancan se voyaient remettre le prix collectif de la meilleure interprétation masculine. Tour à tour, ils ont dit leur orgueil d'avoir participé à une œuvre qui rend hommage aux soldats du Maghreb et d'Afrique, morts au combat ou encore survivants, qui ont contribué à libérer la France lors de la Deuxième Guerre mondiale. Indigènes raconte l'histoire de ces soldats. Ils étaient des milliers d'Algériens, de Marocains, de Sub-Africains du Sahara, en 1943, qui n'avaient jamais foulé le sol de la France coloniale. Ils se sont engagés pour libérer « la mère-patrie » de l'ennemi allemand. Le film nous montre quatre héros maghrébins qui se battent vaillamment en Italie (comme Ben Bella à Monte Cassino), qui libèrent la Provence, Marseille, Toulon, la Corse et jusqu'aux confins des Vosges. Au bout de leur épopée, on les voit seuls à défendre un village alsacien encerclé par un bataillon allemand. L'été 1943, il n'y avait plus d'armée française, vaincue, décimée par les nazis. Il n'y avait plus que des « troupes combattantes » formées par le général de Gaulle à partir d'Alger. C'est alors que 250 000 (d'autres chiffres disent plus) Nord-Africains débarquent sur le sol français et hâtent sa libération. Les manuels d'histoire en France ont oublié ces combattants, ils font l'impasse sur leurs sacrifices. Le film de Rachid Bouchareb montre que la France n'a pas encore payé sa dette. L'écrivain (pied-noir) Jean Pélegri écrit cela : « Trois ans de gamelles, de boue, de périls partagés, de compagnons morts dans les plaines d'Alsace, en Franche-Comté, en Provence, en Italie, mais au retour, pour les Algériens après cette grande épopée, ce fut le retour à zéro, la non-citoyenneté, quand ce n'était pas, comme dans le Constantinois, les armes retournées contre eux. Un sang versé pour rien, des morts inutiles et à tout jamais perdue la dernière chance de vivre ensemble. » L'historien Benjamin Stora souligne pour sa part : « Eux qui ont fait preuve d'abnégation, de courage, de discipline dans la guerre pour libérer la France se souviendront. Certains prendront les armes des années plus tard pour libérer leur pays de la présence coloniale. Et d'autres tenteront de faire reconnaître leurs droits de combattants pour la France, leur qualité de citoyens pour le sang versé. » Il a fallu 25 versions de scénarios à Rachid Bouchareb pour arriver, dit-il « à dépasser l'histoire et à me concentrer sur la matière humaine ». Pourquoi le titre Indigènes ? C'était le statut des Algériens pendant la colonisation. Une colonisation loin d'être positive. Quand Bugeaud octroyait à ses troupes le droit de punir sévèrement les musulmans, il instaurait le système des lois d'exception. Le statut d'indigénat, établi par le Senatus Consult en 1865, a été appliqué jusqu'en 1962, avec de légères modifications en 1944 : deux sortes de citoyens en Algérie coloniale, deux types de juridiction, des délits à la loi pour les uns mais pas pour les autres. La porte ouverte à l'arbitraire absolu. L'égalité devant la mort n'était pas l'égalité devant les lois. Indigènes montre le début des revendications qui conduisent à la guerre de libération. Les « indigènes » sont entrés dans la guerre pour des raisons souvent personnelles et diffuses. La situation dans les campagnes en Algérie et au Maroc était catastrophique et la pression coloniale s'était encore accentuée sous le régime de la « France libre » du Maréchal Pétain. Les leaders politiques étaient emprisonnés : Messali Hadj est condamné en 1941 à 16 ans de travaux forcés. L'attente, l'exaspération s'installent. Participer à la libération de la France aux côtés des Alliés, c'était, pour les « indigènes » comme pour les résistants français, se battre pour des principes de liberté et de démocratie qui allaient sauver la face du monde et vaincre définitivement le nazisme. C'était entrer dans l'histoire. Hollywood a filmé abondamment les exploits des soldats débarqués en Normandie. Le cinéma français a rendu hommage à ses résistants du Vercors et d'ailleurs. Mais il manquait un grand film qui parle de ces combattants africains de la liberté. Héros d'un moment crucial des Temps modernes, et pourtant méconnus, ignorés, oubliés... Rachid Bouchareb l'a fait.