Ça se passe aux Etats-Unis d'Amérique, le pays où l'on compte un meurtre par arme à feu toutes les heures. Plus précisément à Miami où se tenait l'une des plus grandes foires d'art contemporain au monde, Art Basel, qui a lieu également chaque année à Bâle et à Hong Kong. Suite aux attentats terroristes de Paris, la sécurité avait été renforcée. Mais cela n'a pas empêché, le 4 décembre, une visiteuse d'en agresser une autre au couteau. Selon le Miami Herald, la victime s'en est tirée à bon compte, avec quelques blessures au bras qu'elle avait sans doute brandi pour se protéger. Ce qui a étonné, c'est que l'assaillante, avant d'être arrêtée, a prétendu qu'il s'agissait d'une performance artistique. Et, selon la même source, plusieurs visiteurs y ont cru, pensant que l'agression était une création on live et même que «le cordon de sécurité mis en place par la police autour du palais des Congrès faisait partie d'une installation artistique» ! Où ne va pas le monde ? L'anecdote est révélatrice des dérives de l'art contemporain qui séduit naturellement de jeunes créateurs algériens, certains y excellant en faisant preuve d'une vision et d'un talent et d'autres surfant sur la vague de la facilité, de l'insignifiance et du m'as-tu-vu. Mais il ne s'agit même plus de voir, comme l'écrivait Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste français, qui a écrit l'un des textes les plus percutants sur la question. Qu'on en juge : «Devant telle ou telle œuvre d'une stupéfiante beauté, qui n'a songé ou entendu dire : il faut le voir pour le croire ? Or, aujourd'hui, les tenants de ce que la critique désigne comme ‘'art contemporain'' ont renversé la proposition : il faut désormais croire avant de voir». Et, signalant le diktat de l'argent sur les marchés de l'art, il ajoute : «L'avoir supplante le voir. L'œuvre en réalité importe peu ou pas. Seule compte sa valeur marchande…» Et pour accroître cette valeur, l'outrance que l'on fait passer pour de l'audace doit supplanter l'art en construisant un discours justificatif sans lequel l'œuvre n'aurait pas de sens. A propos du Britannique Damien Hirst, star de l'art contemporain qui a réussi à vendre pour 19 millions de dollars une armoire à pharmacie avec 6136 pilules peintes à la main, Mordillat affirme : «Il faut du courage et du talent pour peindre ; il faut de la morgue et de la cupidité pour vendre du rien serti d'ordures et de diamants. Il faut aussi une imbécillité foncière à un Damien Hirst pour fanfaronner que '‘n'importe qui peut peindre comme Rembrandt'', qu'il suffit de ‘'s'entraîner''». Même l'arrière-gauche remplaçant d'un club de troisième division sait qu'il ne suffit pas de s'entraîner pour exceller au football. Alors Rembrandt, mon œil ! Mais voilà, quand l'imbécillité devient un art, une femme peut se faire poignarder au milieu de gens prêts à applaudir à la performance. Ça se passe dans le monde d'aujourd'hui, si complaisant avec la bêtise et sa cousine germaine, l'esbroufe.