Organiser efficacement une institution n'est ni un luxe ni un privilège. Il n'est pas réservé exclusivement aux grandes entreprises dotées d'énormes ressources. C'est une condition de fonctionnement efficace pour toute institution, petite ou grande, économique ou à but non lucratif. Ce qui motive cet écrit, cest l'état délicat dans lequel se trouvent nos institutions en matière d'organisation. Nous ne parlons pas ici des formes d'organisations sophistiquées (Lean management, organisations apprenantes) qu'adoptent les meilleures entreprises et institutions mondiales. Nous considérons uniquement les principes de base, le minimum organisationnel, celui sans lequel tout le monde y perdrait. Mais beaucoup de nos dirigeants et de nos gestionnaires sont peu conscients des méfaits des problèmes organisationnels. Ils constituent un cauchemar pour tout le monde : les utilisateurs des produits et services, les employés, les patrons d'entreprises et en fin de compte toute l'économie nationale. Lorsque des experts font de l'audit organisationnel, ils sont surpris par le retard acculé par nos entreprises, excepté une infime minorité. Il en est de même pour les institutions à but non lucratif : hôpitaux, universités, administrations et autres. L'erreur fréquemment commise consiste à dire : «Nous avons des urgences, nous allons les traiter d'abord, puis nous formerons notre personnel et nous adopterons les pratiques du management moderne». On entend toujours cette phraséologie mortelle. On n'a pas besoin d'être un grand expert pour savoir que dans ce type d'organisation les urgences vont perdurer des décennies. Aucun répit ne viendrait un jour par enchantement offrir la possibilité aux responsables de se former et de s'améliorer dans un quotidien tranquille. Il faut savoir créer des brèches de timing pour pouvoir s'en sortir. Cela implique qu'on ne considère pas ces activités comme importantes et urgentes. C'est un dysfonctionnement organisationnel grave qui aura des conséquences néfastes sur les performances. Impacts d'une mauvaise organisation Beaucoup de responsables croient que les nombreux dysfonctionnements qui affectent nos entreprises et nos institutions à but non lucratif sont dus à un manque de mobilisation, de motivation et d'implication des responsables. Ce serait donc dû à une mauvaise volonté de la part des ressources humaines en opération. Si les membres étaient motivés, mobilisés et désireux de mieux faire, ils auraient trouvé les moyens de faire fonctionner efficacement leurs institutions. Cette manière de voir les choses n'est que partiellement vraie. Elle est omniprésente. On réduit la problématique d'un déficit de performance à un manque de volonté. Mais un spécialiste en management trouverait cette explication infondée, légère et inappropriée. D'abord, si tel est le cas, pourquoi les personnes seraient dans cet état d'esprit ? Ce n'est pas inscrit dans leur ADN. En second lieu, quand on examine «techniquement» le mode de fonctionnement de ces institutions, on trouve des lacunes managériales criantes, et surtout des dispositions organisationnelles en décalage complet avec les objectifs retenus de l'organisation. Ceci induit des performances décriées par les responsables et les citoyens. Que se passe-t-il dans un contexte où l'organisation est absente ? Les personnes sont mal recrutées, mal adaptées à leur poste de travail et, pire encore, peu recyclées et formées sur les outils, les méthodes et les pratiques qui relèvent de leur responsabilité. Les structures sont mal agencées. Les personnes situent mal leur rôle et son impact sur le fonctionnement de l'organisation, les performances obtenues et les conséquences sur les citoyens. Considérez un hôpital ! Un chargé de la maintenance mal recruté, peu recyclé et mal rémunéré va recevoir du matériel de nouvelle génération. Il continue à le traiter comme l'ancien. Si jamais il le sort des cartons, c'est pour fonctionner quelques jours. Les implications en termes de souffrances humaines, pertes de ressources pour le pays, démoralisation de l'équipe médicale, empilement et éloignement des RDV, milliers de décès, animosité des citoyens envers tout ce qui représente l'Etat et perte de confiance sur tout ce qui est public. Les conséquences sont ravageuses. Le coût d'un meilleur recrutement, d'un perfectionnement récurrent et d'une bonne rémunération représenteraient moins d'un millième des terribles conséquences subies. Si c'était un cas isolé, cela passerait ; mais dès lors qu'on a des millions de situations comme ceci dans toutes nos institutions, le pays se gangrènerait. Quelles priorités dans pareilles Situations ? Nous avons essayé de mettre le doigt sur un maillon d'une chaîne de problèmes managériaux aux conséquences désastreuses. Nous accusons un déficit managérial de plus de cinquante ans dans la plupart de nos entreprises et nos institutions. L'assertion n'est pas exagérée du tout. Nous avons considéré uniquement un élément parmi les nombreux dysfonctionnements organisationnels qui existent. Les ressources humaines qui travaillent dans ces institutions sont plus des victimes que des bourreaux. Le responsable de la maintenance mal formé, mal recruté, mal payé et mal recyclé ne comprend pas toutes les conséquences de ses actes. Il a évolué dans une culture qui consiste à toujours blâmer autrui. Par ailleurs, les structures de contrôle des institutions font surtout des surveillances policières au lieu du contrôle de gestion qui consiste à hisser les performances de l'organisation au niveau des institutions similaires mondiales. Ainsi, le comptable, le chauffeur, l'infirmier, le gestionnaire des stocks, le médecin chef de service sont tous des coupables innocents, victimes d'une organisation désuète. Alors il est temps de se dire que nos institutions fonctionnent plutôt mal surtout à cause de problèmes d'organisation. Il y a des exceptions qui confirment la règle. Elles ne sont pas nombreuses. Les spécialistes en management vont rétorquer à juste titre, mais il y a également de nombreux problèmes dans les autres activités du processus managérial : GRH, SIG, planification stratégique, communication, leadership, etc. Ils ont tout à fait raison. Nous avons isolé le processus organisationnel parce qu'il est le plus visible et le plus perceptible. Mais la problématique est dans tous les dispositifs managériaux. Un pays ou une institution fonctionne avec deux facteurs essentiels : le hard et le soft. Le premier concerne le matériel, les équipements, les finances et la force de travail. Le second concerne l'immatériel : les logiciels, les brevets, l'innovation, le management et les cerveaux humains. C'est au niveau du second où le processus se bloque. Autant on investit dans le premier, autant on néglige le second. Or, on ne peut marcher sur un seul pied. Si on investit démesurément dans un facteur au détriment de l'autre, le déséquilibre induira des pertes colossales de ressources. On sait comment redresser ces institutions. Mais pour le moment on n'a pas mis en place les moyens et la méthode pour le faire. Il est temps d'aller vite. La situation peut être redressée, mais avec une prise de conscience et l'approche appropriée. Faire fonctionner nos institutions selon les méthodes organisationnelles modernes est possible. Mais on doit d'abord être d'accord sur les diagnostics et consentir des investissements dont la rentabilité économique et sociale est énorme.