Une récente étude, qui vient d'être publiée dans la revue Nature Communications, révèle l'existence d'un vaste réseau de rivières anciennes enfouies sous le désert du Sahara oriental. Dévoilées par des chercheurs de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et du CNRS, avec la collaboration d'une quinzaine d'autres laboratoires*, les traces de ces cours d'eau sous les sables arides de la Mauritanie seraient le terme d'un grand fleuve dont l'embouchure se versait autrefois dans les eaux de l'océan Atlantique. Il s'agirait du grand fleuve Tamanrasset, un cours d'eau mythique dont l'existence est désormais théoriquement envisagée à la lumière des images satellites inédites, présentées par la paléoclimatologue et géochimiste française Charlotte Skonieczny, dont la publication, fin novembre dernier, a fait grand bruit dans la communauté scientifique mondiale. Fruit d'une coopération internationale — dont les scientifiques algériens sont malheureusement les grands absents — la découverte de ce réseau de rivières anciennes en Mauritanie ouvre à présent la voie au pistage de la trajectoire de ce cours d'eau légendaire dormant sous le territoire algérien, dissimulé sous les dunes. Distinctement photographiés du ciel sur le territoire mauritanien, ces ruissellements fossiles pourraient être le prolongement d'un autre réseau encore plus important, le fameux grand fleuve Tamanrasset ou, selon une autre appellation, ce que les scientifiques désignent par «la vallée supposée de la rivière Tamanrasset», un ancien système hydrographique qui serait le 12e plus important bassin de drainage au monde, énonce l'étude. L'équipe de recherche dirigée par la jeune chercheure française Charlotte Skonieczny a exploité les images radar fournies par le satellite ALOS de l'agence spatiale japonaise, braqué sur la région occidentale du Sahara. Ces images montrent assez nettement les empreintes des anciens chenaux qui rejoignaient la côte pour se connecter avec un canyon sous-marin. Les clichés, récupérés auprès des Japonais par le professeur Phillipe paillou (chercheur au laboratoire d'astrophysique de Bordeaux) ont permis aux scientifiques d'identifier une grande partie de ce réseau de paléo-rivières, long de près de 520 km et encore enfoui sous le sable. «La révélation a été faite grâce aux systèmes embarqués sur le satellite japonais qui fonctionne avec de grandes longueurs d'ondes (radar Palsar), permettant ainsi de sonder des terrains arides à deux mètres sous terre», explique le professeur Paillou . Les travaux concordants d'une quinzaine de scientifiques ayant participé à cette recherche font état d'une grande rivière datant de 245 000 ans, qui aurait existé à l'époque des périodes humides africaines ; l'eau y aurait coulé pour la dernière fois il y a environ 6500 ans, selon leurs estimations, pour confluer vers l'océan. A l'origine de cette investigation scientifique, les chercheurs s'intéressaient aux sédiments présents le long des côtes mauritaniennes et ont élargi leur champ d'étude, envisageant que les sédiments en question seraient de la matière organique, entre autres éléments charriés par le débit d'une supposée rivière ancienne, déposés à cet endroit qui serait son embouchure. Effectivement, les images satellites ont révélé que les lits des rivières cachées sont parfaitement alignés avec Cap Timiris, au large des côtes de Mauritanie, un grand canyon sous-marin large de 2,5 km et profond de prés d'un kilomètre par endroits. L'hypothèse d'un grand cour d'eau qui alimentait ce canyon avait déjà été soupçonnée en 2003, lors de la cartographie en 3D du canyon, effectuée par le navire de recherche allemand Meteor. L'étude de ce canyon, approfondie notamment par Francis Grousset, directeur émérite à l'Observatoire aquitain des sciences de l'univers, confirme les doutes de 2011. «Cela confirme ce que nous avions prévu.Mes pairs viennent d'apporter une preuve convaincante qu'il y avait incontestablement un système fluvial très dynamique dans le désert du Sahara, il y a 5000 à 6000 ans», indique Russell Wynn, chercheur au Centre national d'océanographie de Southampton (Angleterre), qui avait pris part à l'expédition de 2003 mais n'a pas été associé à la récente découverte. Selon ses études, ces anciens flux d'eau, à plein débit, envoyaient des flots rapides et parfois dévastateurs dans le canyon creusé à son embouchure sur l'océan. Les traces sédimentaires auraient suggéré l'action d'une rivière massive dans le canal profond creusé dans le plateau continental, où il subsistait un riche environnement sous-marin. «Les gens ordinaires conçoivent difficilement l'idée du changement climatique et la vitesse à laquelle il intervient. Nous avons là l'exemple édifiant où, en seulement quelques milliers d'années, le Sahara s'est transformé d'un milieu humide avec un luxuriant écosystème et de riches sédiments charriés vers l'océan en un désert sec et aride», explique le professeur Russel Wynn. Selon son confrère le professeur Paillou, notre planète connaît des changements climatiques cycliques tous les 15 000 à 20 000 ans. Ce fleuve aurait également été réactivé lors des périodes d'intensification de la mousson ouest-africaine qui se sont succédé au cours des derniers cycles climatiques. Le scientifique va encore plus loin en supposant que l'eau de cette rivière, qui avait disparu et réapparu à plusieurs reprises dans le passé, puisse rejaillir de nouveau dans un lointain futur. L'intérêt d'une telle découverte paléontologique ne se limite pas à sa dimension historique car en fait, les résultats de ces travaux livreraient éventuellement des indications précieuses sur la localisation de nouvelles ressources hydriques dans la région, comme l'explique la géochimiste et spécialiste des changements paléoclimatologies Charlotte Skonieczny, qui est à l'origine de cette impressionnante révélation : «Cet important système de rivières serait connecté à de grandes quantités de ressources aquifères fossiles, localisées à l'endroit où les canaux ont été identifiés. Cela apporte d'intéressantes informations géographiques sur les endroits où il faudrait creuser pour trouver de l'eau dans les régions désertiques.» Les peintures rupestres découvertes dans les régions désertiques, représentant des hommes nageant dans des lacs et des rivières, trouvent ainsi toute leur signification. Il s'agirait vraisemblablement de scènes de vie prospère, vécue par des communautés humaines sur les bords de la luxuriante vallée du fleuve Tamanrasset, remontant aux ères dites périodes africaines humides correspondant aux variations climatiques naturelles de l'histoire de la terre. Les spécialistes précisent que le Sahara a connu quatre à cinq périodes humides durant les 200 000 dernières années. La découverte de ce trésor paléontologique enfoui sous le sol algérien n'a malheureusement pas suscité de réaction officielle de la tutelle de la recherche scientifique ni de commentaire dans la sphère scientifique algérienne. Le plus navrant est que lors d'une rencontre tenue le 14 décembre à l'université de Bab Ezzouar — animée par le directeur général de la recherche scientifique et par un scientifique algérien installé à Delaware (USA), collaborateur de l'Agence spatiale américaine — aucun des chercheurs présents, interrogés sur la question, n'était au courant de cette «histoire»... (*) Unité de recherche géosciences marines (Ifremer) ; Laboratoire d'océanologie et de géosciences (LOG), université des sciences et techniques de Lille ; CNRS ; Université du Littoral côte d'Opale ; Laboratoire d'astrophysique (Lab. OASU) université de Bordeaux-CNRS ; Royal Museum for Central Africa (Belgique) ; SHOM ; Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (Epoc OASU), université de Bordeaux-CNRS ; GéoAzur (CNRS, université Nice Sophia Antipolis - Observatoire de la Côte d'Azur - UPMC/IRD) ; Centre de formation et de recherche sur les environnements méditerranéens (Cefrem) CNRS, université de Perpignan ; Institut mauritanien de recherches scientifique (IMRS).