Cloué à une chaise roulante usée, Ahmed Khenchouche, 48 ans, propose des lustres à 100 DA disposés à même le sol, sur l'une des allées de la cité des 3555 Logements, à Sidi Hamed. C'est son unique moyen de subsistance. Paraplégique, Ahmed souffre d'une pathologie osseuse qui lui pourrit la vie. «Je suis né avec une malformation osseuse. Mes os sont infectés, le mal ronge inexorablement mon corps. Je ne sais pas combien de temps il me reste à vivre. J'ai traîné pendant 40 ans dans les hôpitaux, on a trituré mes jambes dans tous les sens, maintenant, il n'en reste plus rien», explique-t-il en brandissant sa carte de handicapé à 100%. Ahmed nous invite à le suivre. Il se meut péniblement en faisant tourner les roues râpées de son fauteuil poussif qui, à l'image de ses os, s'effrite à vue d'œil. Il parcourt quelques mètres jusqu'à la cage d'escalier d'un petit immeuble. A l'abri des regards indiscrets, il baisse son pantalon jogging pour nous montrer le terrible mal qui le dévore. L'infection a entamé ses hanches, sa cuisse droite. «L'os a fini par transpercer la chair», gémit-il en exhibant une plaie béante. «Sawwar, sawwar (Prends-ça en photo)», répète-t-il à l'adresse de Samy, notre collègue, qui frémit. Ce n'est pas beau à voir, c'est sûr. «J'ai dû faire une prothèse au niveau de la jambe droite, la prothèse tient dix ans. Après, ton corps ne la supporte plus, et ça provoque une infection. Une fois que ça attaque le corps, ça te tue à petit feu. Je dois refaire ma prothèse, mais pour cela il faut stopper l'infection. J'ai également besoin d'une prothèse pour ma jambe gauche», clame Ahmed. D'après lui, ces soins, très lourds, requièrent une hygiène de vie de chaque instant, avec une prise en charge soutenue à domicile. «On n'a pas tenu compte de mon handicap» En clair, Ahmed Khenchouche a besoin d'un logement individuel, lui qui a été relogé avec sa sœur et ses enfants. «Je suis un handicapé lourd, avec des besoins spécifiques. Pour ma toilette intime, pour mes soins, j'ai besoin d'un espace personnalisé. On n'a pas tenu compte de ma situation et on m'a mis avec ma sœur. Je suis marié, mais mon épouse ne veut pas venir dans ces conditions. Elle est retournée chez ses parents, à Kouba. Et sans le soutien de ma femme, je ne peux rien faire. Depuis qu'on a emménagé ici, elle n'est venue qu'une seule fois. Cela fait plus d'un mois que je ne me suis pas lavé. J'ai aussi un ami qui venait m'aider quand j'habitais à Remli, maintenant il ne peut pas venir. Ma sœur est divorcée, elle a un garçon de 27 ans et une fille de 18 ans. Ce ne sont pas des gamins, ils ont eux aussi leur vie à faire. Ma sœur veut marier mon neveu, ce qui est légitime, et moi je ne sais pas ce que je vais devenir. Depuis qu'on est venus, on n'a pas défait nos cartons. Nos affaires sont entassées dans le salon. Les autorités auraient dû tenir compte de mon cas et m'attribuer un logement individuel comme elles l'ont fait pour toutes les familles nombreuses. Qui plus est, j'ai un fils aussi. Je veux pouvoir réunir ma famille dans un logement décent de sorte qu'on puisse s'occuper de moi.» Ahmed a déposé un recours et attend. «Il y a 400 familles de Remli qui vont être relogées ici dans quelques jours. Leur recours a été validé. Mais moi, je n'ai rien reçu», affirme-t-il. «Au moins, avant, j'avais mon intimité» Revenant sur son douloureux parcours, il raconte : «Je suis né à Ruisseau en 1967. Mon père s'est remarié et il nous a jetés à la rue, ma mère, mes frères et sœurs et moi. C'est comme ça qu'on s'est retrouvés à Remli. J'y ai passé 20 ans. Et quand je pensais voir enfin la lumière, voilà qu'on me prive d'un logement conforme à ma situation, surtout quand on voit que des gens qui sont arrivés sur le tard à Remli ont bénéficié d'un logement. Certains ont même obtenu plusieurs logements injustement.» Ainsi, comme beaucoup de relogés, on ne peut pas dire qu'Ahmed a sauté de joie en recevant les clés de son nouveau logis. «Je ne me suis pas du tout réjoui du relogement. A la limite, je préfère la baraque où j'étais. Au moins j'étais chez moi, j'avais mon espace privé, mon intimité. J'avais mon épouse qui prenait soin de moi, j'avais mes amis qui venaient m'aider. Ici, je ne peux recevoir personne», martèle-t-il. En attendant le verdict de la commission de recours, Ahmed a besoin en urgence d'un fauteuil roulant pour améliorer sa mobilité. «Je n'ai pas les moyens de m'offrir une chaise roulante neuve. Je ne touche même pas l'allocation pour handicapés. Si au moins on pouvait m'aider à acquérir un nouveau fauteuil», implore-t-il. Puisse son appel être entendu…