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«L'Etat n'a pas les moyens d'assumer des sauvetages à répétition»
Dr Nacer Eddine SadI . Professeur des universités
Publié dans El Watan le 21 - 12 - 2015

Nacer Eddine Sadi est docteur en économie industrielle et professeur associé à l'Université Pierre Mendes France de Grenoble. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur la gestion d'entreprise, l'économie de la transition, ainsi que sur le processus de privatisation en Algérie.
Les termes de l'article 66 de la loi de finances 2016 (sur l'ouverture du capital des EPE) existait déjà dans la loi de finances complémentaires de 2009. Pourquoi le réintroduire ?
Je pense que le gouvernement a voulu le réaffirmer pour ouvrir un débat sur la question et aussi dans le contexte actuel des difficultés budgétaires que connaît le pays, c'est une nécessité pour avoir une autre source de revenus. Les dispositions traitant de la privatisation partielle par ouverture du capital social des EPE à l'investissement privé est une disposition intéressante, notamment pour permettre à l'Etat de disposer d'une ressource financière salutaire au desserrement de l'étau de la contrainte budgétaire induite par la baisse du prix du baril de pétrole. On pourrait étayer cette affirmation par l'expérience française récente de privatisation partielle du capital social des sociétés d'exploitation des aéroports de Toulouse-Blagnac, Lyon et Nice
. Cette opération qui ne concernait que la société de gestion des aéroports (et non la plateforme aéroportuaire qui reste dans le patrimoine de l'Etat) a procuré à l'Etat une recette de 500 millions d'euros, ce qui n'est pas comparable avec les 7,2 millions d'euros de dividendes qu'il percevait au titre de sa gestion directe.
Cependant, les privatisations partielles ne sont pas exemptes de critiques et de dangers. Les difficultés inhérentes à un tel mode de privatisation sont souvent induites par l'incomplétude des contrats de cession du capital social. Il est en effet difficile de cerner dès le départ tous les problèmes potentiels et toutes les situations contentieuses avec l'actionnaire privé. Les autres écueils à éviter dans la sélection des futurs partenaires concernent les prédateurs qui achètent des actifs pour les démanteler et les vendre en morceaux, ou encore le fait de transformer un monopole public en un monopole privé.
Les non-professionnels qui conduisent l'entreprise à la faillite par un comportement non cohérent avec les intérêts de l'Etat. Enfin, les promesses non tenues, notamment en matière d'investissements et de création d'emplois. L'ouverture partielle du capital des EPE est une bonne chose, à condition de bien définir la modalité de privatisation et de bien cerner les clauses contractuelles du contrat de cession.
Est-ce le seul moyen de générer des ressources supplémentaires pour l'Etat ?
Objectivement, c'est le seul. L'exportation est faible et le seul secteur actif ce sont les hydrocarbures. L'autre solution, c'est de s'endetter à l'international et cela est encore plus grave car cela met en péril la souveraineté du pays. Les solutions internes résident dans la privatisation qui va aider à renflouer le budget de l'Etat et à poursuivre les dépenses sociales sans que le peuple ne soit perturbé.
Mais l'échec d'El Hadjar, pour ne citer que celui-là, donne largement raison aux détracteurs de la privatisation...
Le problème se situe en amont, non en aval. On a signé avec le partenaire sans avoir compris quelle était sa stratégie et ce qu'il voulait vraiment faire. Quand il a voulu se retirer, il y a avait deux solutions : soit liquider El Hadjar, soit que l'Etat le reprenne. Je pense que de deux maux il faut choisir le moindre. Les choses ont été mal cernées au départ. L'Etat l'a repris parce que c'est un fleuron de la sidérurgie. Laisser tout tomber et licencier tout le monde, cela n'aurait pas été une bonne chose.
Qu'est-ce qui vous fait penser que le privé national peut réussir là où la gestion publique a échoué ?
Les entreprises privées capables d'assurer cette alternative managériale ne sont pas très nombreuses en Algérie. Le secteur privé est dominé par des TPE et des TPPME souvent orientées vers le commerce, la petite industrie agroalimentaire et les services. Mais essayons de voir le bon côté des mauvaises choses. La privatisation est l'occasion de donner la chance au capital privé algérien de se former et de se mettre à niveau sur le plan managérial et d'acquérir les capacités à formaliser des stratégies gagnantes.
L'idéal serait de combiner dans cette perspective une approche triangulaire où l'association réunirait à la fois le capital public, le capital étranger et le capital privé national. Il faut créer une «élite» de capitaines d'entreprise en Algérie, et c'est l'occasion, à mon avis, de le faire dans des secteurs de haute importance pour le développement de notre pays : la haute technologie, les produits à fort contenu technologique, la santé, le spatial, les énergies renouvelables, le numérique, l'agriculture, le tourisme. Voilà ce que devrait porter et promouvoir une politique industrielle tournée sur l'avenir.
L'ouverture du capital doit-elle inclure les entreprises dites «stratégiques» ?
La notion de «stratégique» a été abandonnée par de très nombreux pays dans leur programme de privatisation. Cette notion est difficile à cerner, car ce qui est stratégique pour vous peut ne pas l'être pour moi. Sincèrement, je ne considère pas dans le contexte actuel une banque comme une entreprise stratégique ou de souveraineté nationale. Il en est de même d'une entreprise de transport aérien ou maritime, et plus encore une entreprise de distribution de l'énergie. La question est de savoir quoi privatiser dans ces entreprises :
- pour l'électricité, il possible d'ouvrir le capital de la filiale de distribution. L'Etat garderait sous son contrôle les centrales de production, les barrages hydro-électriques ;
- dans le transport aérien, il est possible d'ouvrir partiellement le capital des sociétés de gestion aéroportuaire. L'Etat garderait sous contrôle les plateformes aéroportuaires ;
- dans la banque, le secteur est déjà démonopolisé, déréglementé au sens où les banques privées nationales et étrangères sont déjà présentes en Algérie (c'est une forme de privatisation courante). La banque a de nombreuses activités privatisables (financement, la gestion de portefeuilles, les produits financiers).
Je dis que le stratégique ou ce qui est lié à la souveraineté nationale concerne le sous-sol, les hydrocarbures, le spatial, la défense et la sécurité, les services publics, l'éducation, la santé publique, la sécurité sociale,… Cela ne veut pas dire aussi que l'Etat ne peut pas tisser des partenariats et des accords stratégiques dans ces domaines.
Privatisations, restructurations, assainissements à répétition. Que doit-on faire des entreprises publiques ?
Je pense que l'Etat n'a pas les moyens d'assumer des sauvetages à répétition. Il faut sortir de cette situation et la seule solution réside dans la prise de mesures radicales de renforcement de l'efficacité économique de ces entreprises. Là, on revient fatalement à la nécessité de mettre en partenariat ces entreprises en vue de les mettre à niveau et de leur insuffler une logique de gestion privée. Il existe de nombreuses techniques de mise en partenariat qui, tout en apportant des ressources financières, technologiques et managériales à ces entreprises, préservent les intérêts stratégiques de l'Algérie.
La privatisation doit avoir comme objectif la réhabilitation et la modernisation de l'outil et la recherche de l'efficience économique et le bien-être collectif.
On devrait faire en sorte que les contrats de cession partielle couvrent tous les risques potentiels et les dérives du partenaire et que l'Etat soit toujours présent dans ces entreprises avec un droit spécifique, type golden-share. On devrait aussi cerner avec exactitude les apports du partenaire sur les plans managérial, financier et technologique avec un suivi rigoureux et des sanctions contractuellement convenues en cas de non-respect des engagements pris (également contractuellement).
La privatisation peut être très bénéfique pour le pays si elle bien maîtrisée et bien conduite. Elle peut être porteuse de savoir, de savoir-faire, de technologies, de ressources financières, d'ouverture sur les marchés internationaux, d'emplois nouveaux et d'externalités positives profitables à tout le pays.
Pour fédérer le plus grand nombre d'acteurs (politiques, sociaux,…), l'Etat devrait adopter une démarche pédagogique dans sa présentation du projet (dédramatisation, sensibilisation, explication, assurance pour atténuer les peurs, les craintes, …) et doit démontrer que les techniques de privatisation qui seront retenues dans cette perspective préserveront les intérêts supérieurs de l'Algérie et ne mettront en aucun cas en péril sa souveraineté nationale et son indépendance.
Le problème n'est-il pas, pour l'Algérie, d'être ballotté entre une ouverture de marché et une vocation sociale très présente pour l'Etat ?
En effet, cela peut être un obstacle parce que le modèle économique de l'Algérie n'est pas précis. On est ni libéraux ni socialistes. Il faut définir ce que nous voulons.
On peut être dans une configuration où le privé prend en charge l'économie, mais où l'Etat maintient son rôle social. Privatiser pour privatiser, ce n'est pas bien, mais le faire pour atteindre un objectif économique et social clair, oui. La politique industrielle algérienne n'est pas encore précise.


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