Il n'y a jamais eu autant de limogeage de PDG d'entreprises publiques que durant les deux dernières années. Air Algérie, Algérie Télécom, Algérie-Poste, Sonatrach, Saidal et Mobilis, rares sont les entreprises épargnées. Pour ces 6 entreprises, on a compté 8 PDG débarqués depuis 2011, plus de la moitié d'ente eux (6 sur 8) l'ont été entre 2014 et 2015 et 4 pour cette seule année. A ceux-là, il faut ajouter cette année l'installation de nouveaux patrons pour Naftal, les Douanes ainsi qu'à la tête des banques publiques BNA, CPA, BDL et Cnep Banque.. A l'été 2014 était annoncé le limogeage du PDG de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine. Il avait été installé en novembre 2011. A Air Algérie, Wahid Bouabdallah a été remplacé à l'été 2011 par Mohamed Salah Boultif, lui-même remplacé par Mohamed Abdou Bouderbala en mai 2015. Février 2015, l'ancienne ministre du MPTIC, Zohra Derdouri, limogeait le DG d'Algérie-Poste Mohand El Aïd Mahloul, installé en 2011. Avant lui, Omari Bouteldja avait passé à peine 6 mois à la tête de l'entreprise. Fin novembre 2015, c'est Boumediene Derkaoui, PDG de Saidal, qui était débarqué contre toute attente, suscitant des interrogations ainsi que la mobilisation des cadres de l'entreprise. Dernier en date, le PDG de Mobilis, Saâd Damma, a été limogé au début du mois de décembre, remplacé à titre d'intérimaire par le directeur général adjoint du pôle commercial d'Algérie Télécom, Mohamed Habib. M. Damma avait remplacé en 2012 Azouaou Mehmel, nommé à la tête d'Algérie Télécom, après le départ en 2011 de Hachemi Belhamadi. A Mobilis, le limogeage est intervenu quelques jours après la conclusion d'un accord entre l'entreprise et l'opérateur français Orange, offrant des appels illimités depuis la France métropolitaine vers les mobiles Mobilis pour les abonnés Orange. La ministre de la Poste et des Technologies de l'Information et de la Communication, Imane Houda Feraoun, reproche à l'ex-PDG son cavalier seul et le fait de ne pas associer la tutelle dans ses initiatives. Au sujet de l'accord avec Orange, la ministre avait affirmé que «l'initiative n'était pas remise en cause», tout en regrettant le fait que le contrat ait été signé sans consulter les pouvoirs publics. Des propos qui laisseraient entendre que l'accord aurait été signé sans que le conseil d'administration n'ait été informé ou qu'il ait donné son consentement. Perplexité «Cela m'étonnerait que le PDG de Mobilis ait pu signer un tel accord sans que le conseil d'administration n'ait été au courant. Il est difficile de croire que M. Damma a rédigé la convention tout seul uniquement avec ses collaborateurs. Il y a des membres du ministère dans le conseil d'administration de Mobilis», s'étonne un ancien cadre du ministère. Un autre spécialiste du secteur soutient que «toutes les autorités en charge du secteur le savaient». Les appels depuis Orange sur le réseau Mobilis seront gratuits, mais cette gratuité coûtera cher à l'opérateur algérien et à sa maison mère. «Les implications sont que Mobilis et Algérie Télécom ne percevront aucun sou en devises comme par le passé dans le sens des appels de France vers l'Algérie. Les appels dans le sens Algérie-France généreront, en revanche, des revenus pour Orange», explique l'ancien cadre. «C'est une perte sèche pour Algérie Télécom». La perte vient du fait qu'AT touchait «une partie des revenus, car les flux de communications passent par des câbles sous-marins», ajoute pour sa le spécialiste des TIC. Avec cet accord, «Algérie Télécom est le grand perdant de l'histoire», dit-il. Certains experts supposent toutefois que Mobilis pourrait compenser une partie des pertes en devises en gagnant de nouveaux abonnés en Algérie intéressés car ayant des amis ou de la famille clients d'Orange. «C'est peut-être un calcul que Mobilis a fait. Viable ou pas ? Cela dépendra des simulations qui ont pu être faites.» Le limogeage de Saâd Damma intervient au moment où un débat est en cours sur la possibilité de remettre Mobilis sous la coupe d'Algérie Télécom. Une option que refusait Saâd Damma, nous dit-on, qui aurait «préféré avoir son indépendance au même titre que Djezzy ou Ooredoo. Revenir à l'ancienne configuration pourrait constituer «un boulet» risquant de «freiner» le développement de Mobilis, pense-t-on. Injonctions Quelles qu'en soient les raisons, ces limogeages mettent en avant la précarité d'être à la tête d'une entreprise publique. Un ancien PDG d'une entreprise publique démis de ses fonctions déplore la manière dont la tutelle choisit et traite les responsables installés à la tête des entreprises publiques. Les managers d'entreprises publiques «restent tributaires d'une tutelle présente et omniprésente et dès qu'on rentre dans les injonctions et les interférences, on engendre des maux et des attentismes problématiques.» Le mode de nomination et de promotion pas toujours lié aux compétences et à l'expertise des personnes installées pose également problème. «La promotion des DG et PDG est du ressort du ministre, généralement les critères sont d'ordre politique. Beaucoup de facteurs rentrent en ligne de compte. Ce qui devait être des critères de compétence, d'expériences dans le domaine ou réalisations (projets) menées à terme, laissent souvent place au copinage etc.», observe un ancien cadre des ressources humaines au sein de Sonatrach, aujourd'hui à la retraite. Le choix des dirigeants doit prendre en compte «un cursus, un itinéraire, des compétences et aptitudes avérées et manifestes, sinon on condamne l'entreprise», estime pour sa part l'ancien patron d'une entreprise publique. Clarifier les pouvoirs et les responsabilités de chacun et mettre en place un système d'évaluation positive et négative sont des conditions sine qua non pour une gestion efficace des entreprises publiques «sinon, il n'y a rien à espérer», dit-il. Pour l'heure, «accepter de diriger une autre entreprise publique à l'avenir est tout simplement impossible», assure-t-il