Quelle vision pour le secteur public, et quelle stratégie adopter pour remettre sur les rails des entreprises devenues moribondes au fil des ans ? C'est autour de ces questions qu'est focalisé le débat en cette période marquée par la multiplication des annonces portant sur la transformation de ce secteur. Et ce, depuis la circulaire du Premier ministre du 7 août 2013 portant sur la relance de l'investissement et l'amélioration de l'environnement de l'entreprise et de l'investissement. Entre réorganisation, restructuration, filialisation, fusion, nouvelles nominations, les changements prévus sont nombreux, mais ils semblent pour l'heure difficiles à clarifier. Tout porte à croire donc qu'il y a un manque de visibilité sur ce dossier. Certes, le gouvernement parle depuis quelques années déjà d'une mutation systémique dans le secteur public. Cependant, la manière ne se dessine pas clairement. Que veut-on donc faire dans ce domaine qui n'a malheureusement pas profité de la rente des hydrocarbures ? Car, faut-il le rappeler, l'Etat a largement soutenu ces entreprises à travers la recapitalisation et l'octroi de financements via les banques publiques juste pour perfuser et sauvegarder l'emploi loin du souci de l'équilibre financier et sans réussir à développer le système de production. Actuellement, l'effort est concentré sur la construction de filières, de groupes et de pôles industriels avec un focus sur la valorisation de la production nationale, l'amélioration du climat des affaires et l'encouragement des investissements productifs ; comme l'a répété à maintes reprises le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdessalem Bouchouareb. Or, le projet roule au ralenti. Et dire que l'ambition affichée par le gouvernement a un double caractère : «industriel et technologique». C'est du moins ce qu'a laissé entendre le ministre lors de la tripartite d'octobre dernier. Une ambition qui a bien un coût, et dans la conjoncture économique actuelle, difficile de mettre le paquet pour réaliser les objectifs escomptés. Déjà que les investissements programmés par les entreprises s'annoncent difficiles à mettre en œuvre Une démarche sans vision stratégique A titre illustratif, Sonatrach a prévu un investissement de 100 milliards de dollars contre 30 milliards de dollars pour Sonelgaz (pour la période 2015/2020). Parallèlement, pour El Hadjar, Abdessalem Bouchouareb a annoncé le 4 décembre 2015 un investissement de 2 milliards de dollars. Où trouver tout cet argent dans la conjoncture actuelle ? s'interrogent à cet effet des économistes. «L'actuelle démarche sans vision stratégique croyant que le capital-argent et de nouvelles organisations sont les fondamentaux du développement est une erreur stratégique qui risque de conduire le pays droit dans le mur», fera remarquer à ce sujet l'économiste Abderrahmane Mebtoul. Cela pour rappeler que les opérations de réorganisation et de lifting menées actuellement n'augurent pas de grands changements sur le plan productif. Avec un système défaillant en termes d'innovation et de compétitivité, il y a eu, selon Mme Nadia Chettab, enseignante à l'université de Annaba qui intervenait en marge de la présentation de la note de conjoncture du Conseil national économique et social (CNES) pour le premier semestre 2015, «la destruction massive de facteurs de production et des énormes coûts d'opportunités de croissance ratées». Tout cela parce que l'Algérie n'a pas réussi à construire d'un point de vue économique un cadre nécessaire à la création de la valeur économique «objectivée, reconnue et exploitée de manière viable», précisera le professeur Chettab. Tergiversation des politiques publiques Et pour cause, il y a eu tergiversation des politiques sur l'adoption d'une stratégie de relance industrielle. Ce qui a donné lieu à la situation dans laquelle se débat aujourd'hui l'économie nationale, particulièrement dans le secteur public où on assiste à une course aux changements après avoir gaspillé des milliards de dinars dans l'assainissement et après avoir raté le premier épisode de privatisations. Pour bon nombre d'experts et d'observateurs, la mue qu'on veut opérer aujourd'hui s'apparente beaucoup plus à une liquidation. «Le secteur public reste le dernier rempart à détruire par les prédateurs et les rentiers qui ont le pouvoir économique actuellement. Il est donc impératif pour eux, en cette période où le pouvoir économique réel est confus et diffus, de très rapidement le mettre en liquidation afin de profiter des rentes multiples qu'il génère», nous dira à ce sujet l'économiste Mourad Goumiri, non sans rappeler l'échec des privatisations lancées à l'époque de Abdelhamid Temmar durant les deux premiers mandats présidentiels. Pour M. Goumiri, «cet échec ne provient pas du manque de contenu de cette opération, mais très certainement de la volonté des prédateurs et des rentiers de tous bords, nationaux et étrangers, de voir que les entreprises publiques économiques leur soient vendues au dinar symbolique ou à des prix dérisoires». L'objectif, selon notre expert, étant de réaliser des superprofits et accaparer deux rentes de situation à la fois, à savoir le monopole qu'exerçaient les entreprises publiques dans certains secteurs et le foncier enregistré dans leurs actifs immobiliers. Après cette phase sans résultats, place alors aux restructurations promises dans les discours officiels. Encore des opérations de restructuration Que d'opérations menées dans ce cadre à l'exemple de celle de Sonelgaz dans le cadre de la loi 02/01 à refaire encore une fois cette année. Le groupe vient de ficeler un plan de restructuration visant à réduire le nombre de filiales de 40 à 6 en les regroupant à travers des pôles (production, distribution et transport notamment) selon une source de l'entreprise dans l'objectif de réduire les dépenses également. Toutes les filiales périphériques seront en effet rattachées à la direction de l'entreprise. Ainsi, près de dix ans après la restructuration, on efface et on recommence. Même constat pour la filialisation d'autres entreprises. «Le résultat global est un immense gâchis doublé d'une propension à faire appel à l'importation pour permettre la corruption généralisée», fera encore remarquer M.Goumiri rappelant que les politiques de filialisation n'ont été tentées que dans les secteurs rentiers qui ne nécessitaient pas de pareilles démarches. «Le raccrochement des secteurs et filières à de grands groupes industriels internationaux aurait dû être initié dans les secteurs productifs en difficulté dans le cadre d'une politique plus globale de substitution à l'importation, à moyen et long termes», notera M. Goumiri avant de poursuivre : «Son inscription dans le registre des métiers nouveaux et des produits à haute valeur ajoutée, en aval des industries primaires traditionnelles, à forts avantages comparatifs, aurait permis à notre pays de renouer avec la réindustrialisation et dès lors construire des partenariats «gagnant-gagnant» avec des industriels internationaux sérieux et non prédateurs. Le mouvement des cadres du secteur relève aussi, selon notre expert, de la même stratégie, laquelle stratégie consiste «à désigner des courtisans et non des entrepreneurs». Les critères de nomination de responsables sont souvent d'ordre politique, témoignent d'ailleurs des cadres d'entreprises nationales. Ce qui illustre l'ampleur du problème du management au sein du secteur public et par ricochet son manque de compétitivité.