On le trouve dans tout le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. De l'Egypte au Maroc, d'Istanbul à Damas. Il joue un rôle culturel important, c'est un lieu de rencontres sociales et de purification rituelle. C'est le hammam. Il a fait l'objet d'un colloque international, organisé à l'université Constantine 3, les 2 et 3 décembre en cours, sous le thème «Le hammam dans le bassin méditerranéen». Le but est de mettre en exergue ses dimensions anthropologique et sociale. Contrairement à ce qu'il n'y paraît, le sujet n'est ni ludique ni superficiel. Bien au contraire, le hammam, qui répondait autrefois à une «demande sociale» et à «un besoin culturel», comme l'a souligné l'une des conférencières, Khedidja Adel de l'université de Constantine 3, a été le sujet d'une étude de haute facture, menée, débattue et consacrée par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d'Oran, en collaboration avec l'Institut autrichien Oikodrom (The Vienna institute for urban sustainability). «Ce projet d'étude a été entamé en 2005 et clôturé en 2011. Des experts d'Algérie, Syrie, Tunisie, Maroc, Egypte et Autriche ont effectué des réunions périodiques aux fins de finaliser le travail et le consacrer en deux références, une revue, Insaniyat, et le colloque de Constantine», a précisé, El Hadi Bouachma de l'université de Sidi Bel Abbès. Dans sa définition globale, le hammam, bain maure ou bain turc, est un bain de vapeur humide puisant ses origines dans les thermes romains. Dans sa forme actuelle, il s'est développé sous l'Empire ottoman, les pays du Maghreb et le Machrek (Moyen-Orient), à la faveur de l'expansion de l'islam. Le hammam fut, en effet, adapté aux préceptes de la religion musulmane, qui préconise une hygiène méticuleuse et des ablutions régulières, notamment avant les prières. Au Maghreb, le hammam est un phénomène social et toutes les catégories de la société fréquentent ce lieu public. Il se compose souvent de trois ou quatre chambres, la première à température ambiante, la deuxième un peu plus chaude et ainsi de suite. Mais au-delà de la sémantique, c'est un lieu identique dans la fonction et différent dans l'architecture qui varie selon l'aire géographique et les époques. «Le hammam en Egypte diffère de celui de Ghaza. En Algérie, celui de Tlemcen est autre que celui de Constantine. Toutefois, il demeure un héritage culturel commun dans sa relation avec le corps ou l'ancrage social», a souligné l'un des experts. Aujourd'hui en déclin ? De nos jours, bon nombre de hammams ont disparu dans plusieurs pays pour diverses raisons. Du moins, leur importance s'est diluée dans telle ou telle société et pourrait connaître un certain déclin. A titre d'exemple, en Algérie, il est réduit à sa plus simple expression. Alors que les dépenses des ménages algériens, pour l'hygiène ont augmenté de 65%, selon le dernier rapport de l'Office national des statistiques, leur fréquentation des hammams a fortement diminué. Les femmes continuent, certes, à y aller, mais juste pour se laver. Les rituels d'antan sont passés à la trappe. Le hammam a perdu beaucoup de son ancrage, alors qu'il n'y a pas si longtemps «d'importantes activités s'y faisaient, allant de la commercialisation de produits de beauté naturels, à la vente des bijoux, en passant par l'apprentissage de la couture et de la confection des gâteaux traditionnels», a rappelé l'universitaire K. Adel. A contrario, la pratique du hammam demeure vivace, et connaît même un regain d'intérêt dans les pays voisins, à l'image du Maroc et la Tunisie. L'on apprendra à ce propos que le hammam s'est développé en Tunisie au cours de ces dernières années, à tel point que celui-ci a su s'adapter aux exigences des différentes classes sociales. Ainsi, des hammams accueillant une clientèle aisée ont vu le jour dans différentes régions du pays. Au Machrek, le hammam a quasiment disparu dans certains pays comme l'Egypte. Selon des statistiques, «des 365 hammams, les plus beaux d'Orient, la capitale égyptienne, Le Caire, n'en compte actuellement pas plus de six». Selon une un rapport de la sociologue Dina Kamel Eldine Shehayeb, s'appuyant sur une enquête de terrain, autour du sujet, il en ressort une véritable dévalorisation sociale du rapport au hammam en Egypte. L'auteure a analysé «les processus de formation des stéréotypes, stigmatisant les formes de recours à cette institution. Les typologies prévenant les raisons sociales de la fréquentation et le boycott sont les principales idées qui abordent les rapports au corps en termes de propreté et d'hygiène». L'étude fait aussi le parallèle entre la notion globale du hammam au Machrek et au Maghreb, faisant ressortir la densité «de l'enracinement de ces structures dans la vie quotidienne des individus». Une percée en europe Dans plusieurs endroits dans le monde, le hammam, méconnu il n'y a pas si longtemps, tend à se développer, particulièrement en Europe. En France, le hammam a été introduit plus récemment, il ne se compose généralement que d'une seule salle et la température varie entre 5° et 50,°ou bien entre 40° et 50°. Il est toutefois empreint de modernité dans son cachet architectural, les règles d'hygiène et la sécurité. Décliné sur le vieux continent sous plusieurs formes, dont le sauna, le hammam est apprécié à sa juste valeur, «un rituel de bien-être, particulièrement recommandé pour le soin de la peau grâce à la chaleur». Heidi Dumreicher, directrice de l'Institut de Vienne pour la durabilité (Oikodrom) a relaté le rôle social du hammam : «un vivier socioéconomique dans les villes et les quartiers.» Un avis partagé par sa compatriote et néanmoins ambassadrice d'Autriche à Alger, Franziska Honsowitz-Friessnigg, qui a estimé dans son allocution inaugurale du colloque, que la redynamisation du rôle du hammam dans les villes arabo-musulmanes «pourrait être un levier pour faire face aux crises économiques et sociales que vivent les sociétés». A rappeler que le colloque international sur le hammam dans le bassin méditerranéen a été organisé dans le cadre de Constantine, capitale de la culture arabe 2015. La diplomate autrichienne s'est référée à l'étude pluridisciplinaire réalisée dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen, dans le cadre de la coopération algéro-autrichienne, pour réaffirmer la vocation de ce socle social qui «n'était pas uniquement un espace de jouissance du corps et un lieu de pratiques rituelles, mais également une institution sociale et économique». À l'ère du développement durable A l'heure où le sommet sur la Terre, la COP 21, se tient à Paris (France), à l'université Constantine 3, les questions environnementales et écologiques sont aussi de mise. Le hammam, dont le fonctionnement se base sur la chaleur et l'eau, deux éléments vitaux et au cœur des batailles écologiques, ne peut plus se soustraire à la notion du développement durable. S'il s'est inscrit en porte-à-faux contre le gaspillage, notamment de l'eau, il ne peut plus feindre la réalité actuelle, qui dicte une utilisation rationnelle de l'eau et de l'énergie, devenues des enjeux pour le XXIe siècle. Dans cette optique, l'étude euro-méditerranéenne en question n'a pas éludé cet aspect. Adapter les structures d'hier aux techniques modernes d'aujourd'hui est une lapalissade. «L'étude prévoit un projet d'un système de chauffage de l'eau des hammams à l'énergie solaire», a indiqué Haidi Dumreicher lors de la projection d'un documentaire de 30 mn, basé sur la photo-interview. Au bout de plusieurs siècles d'existence, le hammam est rattrapé par le développement durable dont l'impact écologique et économique sera substantiel.