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Da El Hocine raconté par les siens
Au village natal du fondateur du FFS
Publié dans El Watan le 26 - 12 - 2015

C'est dans l'enceinte d'un monument édifié à la gloire de l'aède Cheikh Mohand Ou Lhocine que se trouve la demeure où Hocine Aït Ahmed est né et a grandi.
Il est 10h, en ce jeudi 24 décembre 2015. Nous sommes à Ath Ahmed, localité natale du désormais regretté fondateur du Front des forces socialistes (FFS), Hocine Aït Ahmed. Le village relève de la commune de Aït Yahia, daïra de Aïn El Hammam (ex-Michelet), distant de 50 km environ au sud-est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou. Ici, jeudi est la journée de pèlerinage hebdomadaire au mausolée du saint Cheikh Mohand Ou Lhocine.
Les ruelles étroites du hameau grouillent de monde. Des grappes de femmes portant offrandes et bougies viennent prier et «solliciter» la baraka protectrice du saint homme et poète, décédé en 1901. C'est dans l'enceinte de ce monument édifié à la gloire de l'aède Cheikh Mohand Ou Lhocine que se trouve la demeure où Hocine Aït Ahmed est né et a grandi. Elle est adossée à celle où repose son vénéré aïeul. Deux hommes au parcours atypique, qui ont marqué, chacun dans son domaine, son époque, particulièrement par des auras populaires et d'engagement.
Une reconnaissance post mortem des plus émouvantes
Affalée sur un tabouret, à l'entrée d'un garage où est servie une «waâda» aux visiteurs venant présenter leurs condoléances à la famille Aït Ahmed, une vieille femme, éprouvée par le chagrin dira, les yeux noyés de larmes : «Dargaz Ammi, c'était un grand homme, adoré de tous depuis son jeune âge. Sa demeure était le refuge des maquisards pendant la guerre de libération.
Que Dieu ait son âme.» Sa jeune fille l'asperge de parfum pour qu'elle reprenne ses esprits. La foule grossit devant le domicile mortuaire des Aït Ahmed. Le portable collé à l'oreille, Boussaâd, le neveu du défunt chef historique, répond aux appelants qui demandaient des informations sur la date du rapatriement et sur le déroulement des funérailles. «Conformément à son vœu avant son décès, il sera enterré ici au village.
Je suis en contact permanent avec son fils Jugurtha, installé en Suisse. Une délégation du parti est déjà sur place (jeudi matin, ndlr). J'ai lu sur certains supports médiatiques qu'il sera enterré au Maroc. Ce ne sont que des bobards», dit Boussaâd. «Depuis mercredi soir, poursuivait-il, nous sommes assaillis par des contacts d'un peu partout, y compris de l'étranger, demandant… ‘‘Pourquoi le Maroc ? N'est-il pas… ? etc, etc.'' Si El Hocine Aït Ahmed n'avait jamais émis de désir d'être enterré hors de chez lui…
C'est invraisemblable pour un homme qui avait toujours adoré son pays, milité et s'est sacrifié pour l'Algérie !». Boussaâd ajoute : «Mais cela ne nous étonne pas, puisque l'année dernière déjà une rumeur l'avait annoncé pour mort.» Donc, Dda El Hocine, comme on l'appelle affectueusement, reposera parmi les siens, au cimetière du village. «Nous nous organisons avec le parti, l'APC et les citoyens de la région pour encadrer les foules qui déferleront au village pour assister aux obsèques». Hocine Aït Ahmed, nous dira son neveu, laisse deux garçons et une fille. Il avait perdu sa mère en 1983, et comme il était en exil, il n'avait pas pu assister à son enterrement. En 2004, Mohand Amokrane, le jeune frère de Si El Hocine, rejoint l'au-delà, alors que leur père est décédé en 1959.
C'est également de son vivant que le chef du premier parti de l'opposition en Algérie a perdu successivement deux de ses quatre sœurs, Zhor et Fatima. Il ne reste de la fratrie que Nora et Leila (que Dieu leur prête longue vie). «Si El Hocine était quelqu'un d'extraordinaire. J'ai eu à travailler avec lui dans le service d'ordre au sein du FFS. Il était très sensible, pensait à tous les militants et se souciait de tout le monde. Il ne pouvait jamais dîner avant les autres. Il était toujours aux petits soins avec ses accompagnateurs et les policiers qui se bousculaient d'ailleurs pour être de l'équipe de garde.
Il ne s'énervait jamais, malgré la charge de travail. L'image qui m'a frappé en le côtoyant de près, c'est qu'il ne cessait jamais de remercier tout le monde, leur disant : ‘‘Ce que vous faites compte beaucoup pour moi''», témoigne encore Boussaâd, le neveu du regretté disparu, en rapportant cette anecdote : «Un jour, au village, à l'âge de 4 ans (Aït Ahmed) alors qu'il discutait avec Cheikh Saïd de Larbaâ Nath Irathen, un vieux ‘‘boudali'' marabout (ce type d'aliénés mentaux mais sages, errants et souvent prédicateurs d'avenir, fréquents en Kabylie), lui lançait : ‘‘Si El Hocine, la fourrure de ta jaquette sent la politique ; tu es prédestiné à cela !''» Boussaâd rapporte encore : «En rentrant en Algérie le 15 décembre 1989, Hocine Aït Ahmed a eu droit à un accueil triomphal. Un véritable raz-de-marée humain avait déferlé sur le village.
Sur son chemin, Si El Hocine s'est arrêté à Larbaâ Nath Irathen, Ath Hichem, Aïn El Hammam… Il faisait du porte-à-porte pour saluer les gens. Il disait : ‘‘Je comprends les gens avec lesquels j'étais pendant toutes ces années passées dans la région. Je suis agréablement surpris par l'engouement de ces jeunes qui ne m'ont même pas connu physiquement.
C'est un grand honneur pour moi''». Selon notre interlocuteur, Aït Ahmed aimait s'isoler sur les hauteurs du village, au lieudit Anar Oufella. Il aimait contempler la nature, lire les journaux et discuter avec des écoliers de passage. Autre anecdote : «Un jour, Dda El Hocine demandera à un élève en arabe : ‘‘Kam sana taqra ?'' (tu es en quelle année dans ta scolarité ?) N'ayant rien compris, l'enfant s'est tu. Aït Ahmed revient à la charge en lui reposant la même question en français.
Et l'enfant lui répondit illico : ‘‘En 3e année primaire !'' Aït Ahmed dira alors : ‘‘L'élève a étudié trois ans en arabe et n'a rien compris, mais il a su répondre en français alors qu'il n'a pas encore commencé à étudier cette langue…'', s'était-il étonné», ajoute Boussaâd en nous rappelant quelques hauts faits d'armes de son oncle. «Il était le seul à avoir condamné la mort de Abane Ramdane. Il ne s'était jamais pris pour un leader politique». Comme tous les nombreux villages de la wilaya III historique, Aït Ahmed a joué un rôle prépondérant pendant la guerre de Libération nationale. «Notre village était le nid de la Révolution. Un poste de commandement de l'ALN a été installé à Laâziv n-Chikh.
Tous les maquisards sont passés par ici : Amirouche, Krim Belkacem, Benkhedda... Paradoxalement, ce village n'est jamais cité en matière d'histoire. Dans les années 1970, on nous a même interdit le placement d'un panneau indicatif du village. Un agent des travaux publics m'avait confié alors avoir reçu l'ordre de ne pas l'installer», affirme Boussaâd, en disant : «On ne nous a pas encore placé de compteurs à gaz, mais nous avons l'oxygène.
On respire, Dieu merci !» Cinquante-trois ans après l'indépendance, le village natal de Hocine Aït Ahmed n'est toujours pas branché au réseau d'alimentation en gaz naturel. «Les travaux ne sont pas encore terminés», nous apprend un habitant. En 2007, le «zaïm» du FFS est revenu en Algérie, mais il n'avait pas eu le temps de rendre visite aux siens. «Sa modeste maison a été retapée, mais il ne l'avait pas vue», affirme son neveu.


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