Hocine Aït Ahmed revient dans sa région natale. Région qu'il n'a jamais quittée malgré son long exil. Il l'a portée, tout comme son pays, dans son cœur et son âme, malgré les vicissitudes et les turpitudes qui ont marqué la vie du leader historique et politique qui n'ont, à aucun instant, altéré ses convictions et sa constance. Même si habituellement, le village d'Ath Hmed, dans la commune d'Aït Yahia, reçoit régulièrement de nombreux visiteurs venant de toutes les localités de Kabylie pour effectuer des pèlerinages au mausolée de Cheikh Mohand Ou l'Hocine, voilà que depuis l'annonce du décès de Hocine Aït Ahmed, chef historique de la Révolution algérienne et figure emblématique dans toute sa région natale d'Aïn-El-Hammam, l'"ex-Michelet", le douar n'arrive plus à contenir ces milliers de citoyens et de citoyennes qui viennent présenter leurs condoléances à la famille de "Si l'Hocine", militant de la cause nationale, du mouvement nationaliste de la première heure et l'un des valeureux précurseurs de la guerre de Libération nationale. Une véritable procession humaine déferle depuis mercredi soir vers les Ath Hmed et une interminable file de voitures arpente la route fortement sinueuse qui mène au village. Certains automobilistes, certainement venus de contrées lointaines, ne trouvent pas aisément le chemin et sont forcés d'effectuer un long détour par Aït Yahia, chef-lieu de la commune. "Les autorités locales ont placé des plaques d'orientation et de signalisation dans toutes les bourgades, sauf ici. D'ailleurs, pendant les années de dictature, sous l'ère Boumediene, l'ordre a été donné de ne pas placer de panneaux portant le nom d'Aït Ahmed, car pour le pouvoir, c'étaient tabou et sacrilège d'évoquer le nom de l'éternel opposant qu'était le vaillant Hocine Aït Ahmed", dira d'emblée un représentant du comité de village désigné pour coordonner le travail d'accueil et d'orientation du grand monde et visiblement très au courant des "coups bas" de la politique des années de plomb. "Il doit être enterré auprès des siens !" Dès l'entrée au chef-lieu de la commune d'Aït Yahia, à trois kilomètres environ de la daïra d'Aïn El-Hammam, le mouvement des citoyens est très dense et annonciateur d'un événement d'envergure. Des groupes se forment ici et là et les discussions vont bon train au sujet du défunt "Da l'Hocine" et à la remémoration de son itinéraire patriotique. "Sera-t-il enterré au cimetière d'El-Alia comme le voudrait le pouvoir ou bien à côté de Cheikh Mohand Ou l'Hocine, son ancêtre à la renommée bien établie ?" s'interroge un septuagénaire, venu d'Iferhounène, la daïra voisine. "Je crois que Da l'Ho aurait émis le vœu d'être inhumé au Maroc", réplique un autre villageois. "Soyons sérieux, tout de même, Si l'Hocine n'a pas libéré le pays pour être enterré ailleurs. Même si on lui a imposé l'exil de son vivant, il aimait sa terre et son peuple", reprend un homme d'un certain âge. "Aux dernières nouvelles, le pouvoir veut absolument l'enterrer à El-Alia, mais il n'en est pas question. Car Si l'Hocine a toujours refusé toute forme de compromission", dira un jeune militant du parti du FFS. "Pis encore, il paraît que Bouteflika a même proposé son avion spécial pour le rapatriement de la dépouille mortelle mais les proches d'Aït Ahmed auraient refusé une telle proposition", lancera un autre militant du FFS. À tous ces propos qui n'en finissent pas, Boussad Aït Ahmed, un proche cousin du défunt, qui nous accueillait humblement dans sa demeure jouxtant celle du mythique Cheikh Mohand Ou l'Hocine, dira en substance : "Ce sont ceux qui l'ont tué, il y a de cela une année, qui alimentent toujours la confusion en propageant des rumeurs sur le lieu de l'enterrement, en évoquant le Maroc. Dites-vous bien qu'il sera bel et bien enterré ici dans sa terre natale, auprès des siens." "Nna Taos", une septuagénaire apparemment très proche de la famille, dira de son côté : "Le digne fils de Cheikh Mohand n'est pas mort. Regardez comment il a rejoint ses aïeux en ce jour sacré, la nuit du Mawlid Ennabaoui ! ‘Si l'Hocine' continuera à vivre dans le cœur de tous les Algériens et de tous les opprimés avides de justice et de liberté." Un représentant de la section FFS d'Aït Yahia, conscient de la grandeur de l'événement, nous prévient : "Toutes les associations locales et les comités de village de la région sont déjà mobilisés pour assurer le bon déroulement des funérailles de notre cher et regretté Si l'Hocine, président de notre parti, notre leader inoubliable." "C'est d'Aïn El-Hammam qu'est partie la vraie Révolution" Ferhat Benaddi, fils de chahid, témoigne devant la maison de Cheikh Mohand, qui servait de refuge pendant la guerre de Libération nationale, en nous montrant une cache encore porteuse d'un pan d'histoire. Il dira : "Ce refuge hébergeait l'état-major de l'ALN, dont Mohamedi Saïd, Krim Belkacem, Benkhedda, entre autres. En 1992, lorsque le regretté Rabah Benchikhoune, responsable de l'Association des fils de chahid, avait émis le vœu d'ériger une stèle à la mémoire des 11 officiers de l'ALN tués par l'armée française ici même, les autorités concernées ont catégoriquement refusé car cela n'a pas été du goût des responsables politiques de l'époque qui ne voulaient rien construire dans la région de Hocine Aït Ahmed." Devant les caches où se réfugiaient les anciens combattants de l'ALN, Boussad Aït Ahmed revient sur le parcours de Hocine Aït Ahmed. "La vraie Révolution peut être racontée par n'importe quelle femme d'ici, car les femmes du douar l'ont réellement vécue. C'est d'ici que la Révolution a démarré. À Ben Aknoun, où il avait continué son parcours, Si l'Hocine a rencontré Si Ouali Bennaï, son aîné, qui coordonnait le mouvement nationaliste avec de grands hommes tels que le regretté Laïmeche Ali, mort de paludisme ici même à Laâzib n'Chikh, l'illustre Abane Ramdane et beaucoup d'autres", dira-t-il avec fierté en ajoutant que "s'il fallait attribuer un grade à Si l'Hocine, on lui aurait octroyé celui de maréchal avec ce qu'il avait fait pour l'OS pour défier une grande puissance mondiale qui n'a jamais pu venir à bout de cette organisation, et comme vous le savez, le démantèlement de l'OS était une affaire malheureuse de mèche vendue. C'est Hocine Aït Ahmed qui a représenté l'Algérie à Bandoeng. À 22 ans, il avait rencontré des sommités, ‘des monstres' de la politique internationale tels que Nehru (1955) et a réussi plus tard à inscrire la question algérienne à l'ONU à un point tel que lorsqu'il brandit fièrement la pancarte avec l'inscription Algérie, la délégation française avait aussitôt quitté l'assemblée des Nations unies. La Révolution a pris son envol d'ici, de cette région de montagnes et d'hommes libres, même si les forces du mal ont tout fait pour détourner la vérité et l'histoire. Mais peut-on détourner un fleuve ?" Se joignant à la discussion, M. Benamara, enseignant à la retraite, témoignera les larmes aux yeux : "Notre seul espoir est de voir le projet de société de Hocine Aït Ahmed repris par la nouvelle vague de militants sincères et dévoués, mais... (pleurs)... voilà cinquante ans déjà que l'on nous promet de sortir du sous-développement mais en vain car l'opportunisme des uns et des autres a toujours primé sur les projets de société. La gestion participative était un programme du FFS mais celui-ci fut vite détourné de son sens et de son essence ! Le pouvoir récupère même les slogans pour les discréditer." Aïn-El-Hammam se prépare à vivre une journée historique Un autre villageois souhaite voir dans la mort de Hocine Aït Ahmed "le déclic tant attendu pour une véritable réconciliation de tous les Algériens qui aspirent à une Algérie meilleure". "Da l'Hocine était un grand moudjahid et un homme politique d'envergure internationale qui a sacrifié toute sa vie pour la libération de son pays et de tout le continent africain. Qu'il repose en paix et que son flambeau soit repris par la nouvelle génération", dit-il tout en saluant tel qu'il se doit la mobilisation de tous les militants du FFS et de tous les citoyens de la région pour veiller au bon déroulement des funérailles qui doivent être à la hauteur de ce grand héros de la Révolution algérienne que fut le regretté Hocine Aït Ahmed. Finalement, les villageois d'Ath Hmed et de toute la région d'Aïn El-Hammam ont fini par savoir hier à la mi-journée, que les obsèques de Si L'Hocine auront officiellement lieu ce vendredi 1er janvier dans le village natal du défunt qui s'apprête à vivre un évènement exceptionnel. Et pour préparer tel qu'il se doit ces funérailles tant attendues en Kabylie, le wali de Tizi Ouzou s'est présenté hier matin au siège fédéral du FFS de la ville des Genêts pour signer le registre de condoléances ouvert à cet effet et ce, avant de rallier peu avant la mi-journée le village d'Ath Hmed, accompagné de nombreux directeurs exécutifs de wilaya pour présenter les condoléances à la famille Aït Ahmed et superviser depuis hier déjà les préparatifs des obsèques qui vont s'étaler sur toute la semaine. C'est ainsi que la direction des travaux publics de la wilaya a déjà mobilisé les engins et tous les travailleurs des différentes subdivisions de daïras et de nombreuses entreprises privées de travaux publics pour préparer le terrain avant le jour J. Surtout que l'on annonce la présence du Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal, et de plusieurs ministres ainsi que des personnalités étrangères. L. B.