L'homme de Bandung, un Maghrébin et même au-delà, était de tout temps au-devant des combats des peuples pour leur autodétermination. Pour un Maghreb démocratique.» C'est ainsi que Hocine Aït Ahmed concluait chacune de ses interventions politiques. Le très charismatique leader historique a de tout temps associé son combat pour la Libération nationale à celui de l'émancipation d'un grand Maghreb et à l'avènement d'une Afrique du Nord démocratique. Le rêve maghrébin était chevillé à son long combat. Forgé par la solidarité agissante des mouvements de libération nationale dans leurs épreuves les plus dures, l'esprit maghrébin exprimé de manière forte à la faveur de la grande conférence de Tanger, en avril 1958. «Nous, les représentants des mouvements de libération nationale de Tunisie, d'Algérie et du Maroc, proclamons solennellement notre foi en l'unité du Maghreb et notre volonté de la réaliser dès que les conditions s'y prêteront, c'est-à-dire quand les forces françaises et étrangères auront évacué leurs bases de Tunisie et au Maroc et quand l'Algérie sera devenue indépendante», proclamait la conférence maghrébine de Tanger. Jusqu'au bout, Hocine Aït Ahmed s'est réclamé l'héritier du projet des Tunisiens Ahmed Tlili et Abdelhamid Chaker, des Algériens Ferhat Abbas et Abdelhamid Mehri, des Marocains Mehdi Ben Barka et Abderrahim Bouabid. D'ailleurs, au 40e jour de la disparition du leader marocain Abderahim Bouabid, en février 1992, Hocine Aït Ahmed avait réaffirmé avec force son attachement à l'émergence d'une intégration régionale sur des bases démocratiques. «Je renouvelle ici mon serment à l'édification d'un Maghreb démocratique. On ne touchera pas à l'espérance démocratique que porte le grand Maghreb. De Tanger à Benghazi, de Nouakchott à Illizi, un seul peuple», clamait-il. La présence du leader marocain Abderrahmane Youssoufi à Alger pour saluer la mémoire de son camarade était un témoignage sincère de cette conviction commune pour un espace maghrébin émancipé. Pour la petite et la grande histoire, Youssoufi avait été envoyé par Bouabid pour défendre Hocine Aït Ahmed devant la Cour révolutionnaire, en 1965. Sa vision du Maghreb était en porte-à-faux avec celle, idéologique, paternaliste et démagogique, voulue par les systèmes autoritaires en place. «Le socle démocratique du Maghreb» Débarrassé de la conception nationaliste étroite et hostile, l'engagement pour la construction maghrébine découle aussi d'une conviction qui tire ses racines d'un passé lointain, avant de rencontrer les aspirations contemporaines du combat libérateur. Fidèles à l'esprit de l'Etoile nord-africaine, Aït Ahmed et son ami Abdelhamid Mehri ainsi que beaucoup de militants du Mouvement national se sont toujours vu comme des Maghrébins. Leurs liens avec les acteurs du Mouvement national en Tunisie et au Maroc étaient étroitement confondus. «Les deux hommes (Aït Ahmed et Mehri) ont été naturellement du même bord après Octobre 1988, leur culture politique et leur vision maghrébine ne pouvaient que favoriser cette grande complicité politique», assure un proche des deux leaders. Il faut dire aussi que cette conviction maghrébine n'était seulement pas tournée vers le passé, mais résolument inscrite dans une perspective d'avenir, renouvelée à l'aune d'une mondialisation rampante. Hocine Aït Ahmed luttait pour un ensemble maghrébin politiquement et économiquement intégré, fondé sur le socle de la démocratie, pour pouvoir tirer son épingle du jeu géostratégique internationale. «La mondialisation est déjà là, elle s'impose à tous et nous envahit de toutes parts. Elle comporte d'indéniables aspects positifs pour ceux qui savent s'y insérer de manière planifiée et au mieux des intérêts de leur peuple. L'Europe est partie prenante de la mondialisation car, au préalable, elle a réussi une unification fondée sur un socle démocratique partagé. C'est ce qui fait sa force et lui permet de sauvegarder son identité et ses capacités compétitives dans tous les domaines. En revanche, l'intégration séparée des pays maghrébins hypothèque leurs intérêts et leur souveraineté. On ne saurait évaluer les conséquences fâcheuses de l'échec de la construction maghrébine. Les options bureaucratiques et les conceptions étriquées du nationalisme ont stérilisé les nombreuses tentatives d'intégration régionale au Maghreb. Pis, elles ont créé un état de tension permanent, incompatible avec la coopération et le développement. Il est déjà tard, mais il est encore temps pour relancer la construction maghrébine en changeant de démarche et en édifiant un socle démocratique qui est seul capable de mobiliser les ressources et les énergies pour un développement durable. Le Maghreb aurait ainsi des atouts et le pouvoir de négocier, au mieux de l'intérêt de ses enfants, son insertion dans ce monde nouveau qui s'installe», affirmait-il début 2000. Le grand Maghreb était un des étendards de ce grand Maghrébin — aux multiples combats — qu'il arborait sut toutes les tribunes. «Une partie importante de nos élites a déjà déserté la bataille collective pour un Maghreb fort, démocratique et uni dans la conquête de ses intérêts. Ce n'est pas nouveau dans notre histoire. Ce qui serait nouveau serait de réussir à repousser nos atavismes meurtriers, nos égoïsmes plus tribaux que nationaux et cette sorte de fatalisme qui nous pousse à accepter le pire quand le mieux nous semble trop lourd à porter», disait-il encore quelques années avant sa disparition. Ainsi était aussi l'homme de Bandung, un Maghrébin et même au-delà. Il était de tout temps au-devant des combats des peuples pour leur autodétermination. Un fervent défenseur de la cause palestinienne, un pourfendeur du système de l'apartheid. Il était d'un soutien sans faille pour les peuples en lutte pour leur émancipation. Il fut une militant permanent qui, même dans l'adversité, ne cédait jamais sur ses convictions et ses principes. Sa place est désormais au panthéon de l'histoire nationale algérienne, mais aussi maghrébine.