Le dernier des «historiques», Hocine Aït Ahmed, sera inhumé au village de ses ancêtres, près de Aïn El Hammam, en Grande Kabylie. Il a laissé ce testament : rejoindre définitivement sa terre natale pour le repos éternel. Cette terre qu'il chérissait tant et qu'il a contribué à libérer du joug colonial, bien avant le déclenchement de la lutte armée, le 1er Novembre 1954. Il nourrissait, avec ses frères d'armes, de grands projets pour une Algérie indépendante, orientée vers le pluralisme politique et la liberté d'opinion Aït Ahmed partageait, avec Mohamed Boudiaf et Krim Belkacem notamment, le projet de construire une Algérie moderne, en harmonie avec son héritage historique et culturel et de la sortir rapidement du sous-développement. Hélas ! C'était compter sans les différents chefs de guerre assoiffés de pouvoir qui se sont déjà illustrés en éliminant physiquement le «cerveau» de la lutte armée, Abane Ramdane, qui voulait instituer la primauté du civil sur le militaire, et en déposant Ferhat Abbas de la présidence du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) car trop charismatique à leurs yeux. L'instinct guerrier d'Aït Ahmed l'a amené à résister par les armes à la mainmise de l'armée des frontières du colonel Houari Boumediène sur le pouvoir politique. A l'interdiction du multipartisme, Aït Ahmed crée le Front des forces socialistes (FFS). La suite est connue. La rébellion sera matée dans un bain de sang. Aït Ahmed s'exile en Suisse après sa fuite de prison que la Sécurité militaire aurait organisée selon son ancien patron Kasdi Merbah, assassiné lui aussi dans des circonstances floues. Pour Aït Ahmed, il était évident que la réalité du pouvoir, en Algérie, ce sont les militaires. Ces derniers ne peuvent pas produire, selon lui, les bonnes solutions aux problèmes multiformes de l'Algérie. Et l'avenir lui a donné à chaque fois raison. Depuis l'indépendance, le système militaire a effectué des choix désastreux sur les plans politique et économique que l'Algérie paye jusqu'à l'heure actuelle. Pourtant, ce sont les militaires qui vont décider le vieux opposant à participer à l'élection présidentielle truquée de 1999, avec à leur tête le président démissionnaire, Liamine Zeroual. Sensible à l'«appel du devoir», Aït Ahmed s'aperçoit pourtant que lui et les autres candidats n'étaient retenus que pour servir de «lièvres» au candidat désigné par les militaires, Abdelaziz Bouteflika. Aït Ahmed réussit à convaincre tous les autres candidats à se retirer de la course. Le bide électoral s'achèvera avec cette sortie ubuesque de Bouteflika qui menacera de prendre sa valise et de rentrer chez lui si les résultats n'étaient pas satisfaisants. Les militaires ont satisfait amplement sa demande. Aït Ahmed, dont la forte personnalité ne laisse pas indifférent et à qui on a reproché la signature du contrat de Sant'Edigio, rejoint l'exil qui lui est imposé encore une fois. Le «guerrier» a rendu son dernier souffle, mais l'idéal pour lequel il a combattu est toujours là, dans le cœur de millions d'Algériens. C'est là la véritable victoire d'Aït Ahmed.