Le président Abdelaziz Bouteflika a fermé un débat sans l'avoir ouvert. Il n'a pas dit un seul mot sur la nécessité ou pas de prolonger, au-delà de la date limite du 28 août, l'application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Charte que le locataire d'El Mouradia a défendue corps et âme. Mercredi 27 septembre, lors de l'ouverture de l'année judiciaire, cérémonial routinier, le chef de l'Etat a insisté sur la lutte contre « les résidus du terrorisme ». « Nous ne serons rassurés que lorsque nous l'aurons éradiqué à jamais dans le cadre de la légalité », a-t-il dit. Jusque-là, le langage usuel de Bouteflika a consisté à ne parler que de « concorde », « fin de la tragédie nationale », « réconciliation »... Je suis homme de réconciliation », disait-il déjà en 1999. Est-ce la fin d'une époque ? Ou est-ce une simple tactique ? Il apparaît du discours de la Cour suprême que cette prolongation n'aura pas lieu. Fait important : Bouteflika n'a pas versé dans le discours estival sur la nécessité de « prolonger » la Charte au-delà des délais. Ce vrai faux débat a été entretenu, des semaines durant, par Abdelaziz Belkhadem, chef du gouvernement et secrétaire général du FLN, par Bouguerra Soltani, président du MSP, et Noureddine Zerhouni, ministre de l'Intérieur, à un degré moindre. Chacun y allait de son commentaire. A un moment donné, Abdelaziz Belkhadem semblait engager le gouvernement dans une démarche ambiguë. Mais ce bruit avait permis de combler un vide politique créé par une absence prolongée du président de la République de la vie publique. Une absence inexpliquée. Faut-il parler aujourd'hui d'un désaveu public pour Abdelaziz Belkhadem et Bouguerra Soltani ? Ou s'agit-il d'un partage de rôles dans lequel la société n'a aucun droit au chapitre ? Abdelaziz Belkhadem qui, ces derniers temps, apparaît rarement en public, tranchant avec une habitude qui s'est imposée depuis son retour aux affaires, a promis de rendre publics les résultats de l'application de la Charte. « Au moment opportun, le peuple algérien saura tout », avait-il déclaré à la télévision. A ce jour, aucun bilan détaillé de l'application de la Charte n'a été rendu public. La Commission nationale chargée de suivre cette application s'est réunie à maintes reprises sans que la teneur de ses décisions ne soit rendue publique. Pourquoi Abdelaziz Belkhadem ne tient pas sa promesse ? Aucun officiel ne semble en mesure de l'expliquer, à commencer par le principal concerné. Comme personne, à un niveau élevé de l'Etat, n'a dit pourquoi le retour de Rabah Kébir, ex-chef d'un parti dissous, a bénéficié d'un tapage à mi-chemin entre la télé réalité et le people à paillettes. Rabah Kébir, qui de ses propres dires, n'est là qu'à titre de... « prospection ». Cela ne fait pas oublier un élément essentiel : la démarche de la Charte a-t-elle réussi ou pas ? S'il y a réussite, quels en sont les résultats ? S'il y a échec, pourquoi ? A supposer que le dossier Charte soit fermé, les Algériens, choyés et adulés avant le référendum du 29 septembre 2005, sont en droit de tout savoir : le nombre et l'identité des éléments de groupes armés qui se sont rendus aux autorités, les armes récupérées, l'importance de l'argent ramassé par ces groupes, le nombre des éléments des forces de sécurité concernés par les mesures de pardon et les affaires qui ont été traitées par la justice. La gestion des questions de lutte contre le terrorisme ne doit pas relever du secret. L'Algérie, qui cherche à suivre le mouvement international sur la lutte de la criminalité de type terroriste, ne peut plus s'appuyer sur les instruments policiers d'un autre âge pour rétablir la paix à l'intérieur de ses frontières. A ce propos, les discours des hauts responsables, ici et à l'étranger, ne suffisent plus. Autre chose : circonscrire le débat sur les retombées de « la tragédie nationale » à la simple problématique de l'indemnisation des familles des victimes donne la désagréable sensation d'un Etat qui cherche à acheter le silence par tous les moyens. Il est évident que des dossiers sensibles demeurent ouverts comme celui des disparitions forcées et celui des responsabilités des uns et des autres dans la crise imposée au pays ces dernières années. On comprend, peut-être, mieux pourquoi Bouguerra Soltani, qui veut jouer le rôle de l'opposant à l'intérieur même du Palais, insiste sur la proposition d'amnistie générale. L'idée n'est pas innocente. Puisque, limitée dans le temps, la Charte du 29 septembre ne peut plus couvrir personne. L'impunité a sauté et toute personne, reconnue coupable d'acte de violence, est désormais poursuivable en justice. Si la justice est indépendante...