Le président François Hollande a consacré une partie de ses vœux au soir du 31 décembre à la question de la déchéance de la nationalité qu'il avait annoncée une première fois le 16 novembre, puis confirmée le 30 décembre en Conseil des ministres. «J'ai annoncé une révision de la Constitution pour donner un fondement incontestable au recours à l'état d'urgence lorsqu'un péril imminent nous fait face et pour déchoir de la nationalité française les individus condamnés définitivement pour crime terroriste». Pas tous les individus français, seulement ceux qui ont une double nationalité. Le terroriste uniquement français condamné par la justice a-t-il plus de poids juridique que le terroriste né français, mais binational qui sera expulsé vers son autre pays après sa peine ? Quel pays ouvrirait ses portes à son ressortissant exclu de la communauté française pour terrorisme ? Cette décision avait été qualifiée de «symbolique» par le Premier ministre Manuel Valls, alors que beaucoup d'opposants à son introduction dans la Constitution considèrent que cela créera une ambiance de suspicion pour tous les binationaux issus de l'immigration maghrébine particulièrement. Les vœux présidentiels n'étaient pas le lieu de la réponse à ces questions, le président Hollande se contentant d'une ouverture en indiquant qu'il ne cèderait pas sur le retrait de la proposition. Que signifie sinon cette phrase : «Il revient désormais au Parlement de prendre ses responsabilités. Le débat est légitime. Je le respecte. Il doit avoir lieu. Et quand il s'agit de votre protection, la France ne doit pas se désunir. Elle doit prendre les bonnes décisions au-delà des clivages partisans et en conformité avec nos principes essentiels. J'y veillerai car j'en suis le garant.» Le président Hollande sait qu'il joue sur la corde raide, malgré un sondage OpinionWay qui indique que 86% de la population française est d'accord avec cette mesure. Au-delà des partis, ce thème semble faire consensus alors qu'initialement la déchéance de la nationalité pour tous les immigrés et les binationaux était une constante programmatique de l'extrême droite pour tout délit commis sur le sol français. La tentation de créer des apatrides Si une partie la droite reprend cette thèse en cherchant à l'endurcir encore un peu plus, la gauche toutes tendances confondues y est majoritairement rétive. Chacun fustige une initiative qui ne peut en aucun cas empêcher un terroriste d'agir. L'un des arguments du porte-parole du Parti socialiste Olivier Faure est qu'on «crée un lien explicite entre terrorisme et immigration, ce qui évidemment n'est pas nécessaire». Certains, comme l'écologiste Jean-Vincent Placé, veulent contourner la difficulté. Il souhaite «qu'on réfléchisse à étendre, y compris la déchéance de nationalité, aux Français uniquement Français, je sais la difficulté de créer des apatrides, il y a un vrai débat de convention internationale». Même l'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement est sur le même registre, sauf que cela créerait des apatrides. Certains ténors de la droite classique comme Nathalie Kosciusko-Morizet penchent plutôt vers la peine d'indignité nationale : «Si elle ne s'applique qu'aux binationaux, la déchéance crée de la division. La peine d'indignité nationale, qui peut s'appliquer à tous. (…) C'est la déchéance des droits civiques, civils et sociaux. Symboliquement, c'est très fort aussi. Presque plus, car c'est une mesure qui jette l'opprobre». Les lignes sont donc franchies, à se demander si finalement le terrorisme n'a pas fait une victime collatérale, la valeur que représentent la nationalité et la citoyenneté. Un collectif de 96 associations et 16 syndicats dont la CGT, le Planning familial, le Mrap, et le Syndicat national des journalistes a lancé à la fin de l'année une pétition intitulée «Nous ne céderons pas», contre le projet constitutionnel : «Nous n'acceptons pas la gouvernance de la peur, celle qui n'offre aucune sécurité mais qui assurément permet de violer nos principes les plus essentiels. Notre rejet est absolu». Le débat ne fait que débuter, il durera jusqu'en février, date de la présentation du projet gouvernemental devant l'Assemblée nationale.