L'OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique), envisage avec le soutien du G20, de modifier les dispositions des conventions fiscales et les règles en matière de prix de transfert afin de lutter contre l'érosion des bases d'imposition. Ainsi, pour imposer les bénéfices des entreprises du numérique, une nouvelle définition de l'établissement stable et des bénéfices à y rattacher serait nécessaire. Le droit fiscal algérien est inadapté à cette industrie et permet ainsi aux entreprises globales de l'économie numérique de connaître un faible niveau d'imposition de leurs bénéfices. En appliquant les standards internationaux en matière d'impôt sur les sociétés (en particulier, règles de territorialité et prix de transfert) et en bénéficiant de la concurrence fiscale entre les Etats, ces entreprises se seraient en effet organisées de manière à mener les activités à valeur ajoutée limitée dans les territoires à forte pression fiscale, tandis que leurs biens incorporels - capteurs d'une part importante de la rentabilité de ces entreprises - seraient localisés dans des territoires à faible taux d'imposition. Afin d'y remédier, nous conseillons nos responsables chargés de la législation fiscale d'introduire dans les conventions fiscales internationales une nouvelle définition de l'établissement stable et de rattacher à ce dernier le bénéfice lié à l'exploitation des données issues du suivi régulier et systématique des internautes situés sur le territoire de l'établissement stable. Aujourd'hui, toutes les grandes entreprises de l'économie numérique ont un point commun : l'intensité de l'exploitation de données issues du suivi régulier et systématique de l'activité de leurs utilisateurs (ces données pouvant être les données personnelles de l'utilisateur mais, plus généralement, toute «trace» laissée sur la Toile comme les historiques de recherches ou d'achats, les liens suivis, les contacts, la localisation géographique ou les fichiers) : ces entreprises utilisent les données collectées notamment pour rendre ou améliorer les services fournis aux utilisateurs, créer d'autres applications ou, plus simplement, les cèdent ou les mettent à la disposition d'autres entreprises. Ainsi, les entreprises de l'économie numérique bénéficieraient d'un «travail gratuit» fourni par les utilisateurs qui expliquerait une partie de leur rentabilité. Actuellement, les données et le «travail gratuit» ne sont pas appréhendés par la fiscalité et ne sont donc pas imposés à l'endroit où ils sont générés. Dès lors, nous proposons d'introduire la notion d'établissement stable dans les conventions fiscales signées avec d'autres pays, tout en insistant sur le fait qu'une entreprise qui fournit une prestation sur le territoire d'un Etat au moyen de données issues du suivi régulier et systématique des internautes sur le territoire de cet Etat devrait être regardée comme y disposant d'un établissement stable. Le bénéfice rattachable à cet établissement stable serait celui lié à l'exploitation de ces données. Par conséquent, et quelle que soit l'organisation retenue par les groupes, une partie des bénéfices des entreprises du numérique seraient soumis à l'impôt sur les sociétés dans l'Etat de situation des utilisateurs fournissant des données. Cette proposition, si elle devait être appliquée, conduirait à une modification profonde de la notion d'établissement stable puisqu'une entreprise n'aurait plus besoin d'avoir une installation ou un représentant dans un Etat pour y être établie et donc imposable. A terme, elle conduirait vraisemblablement les entreprises du numérique (voire même d'autres secteurs d'activité) à disposer d'établissements stables dans tous les pays du monde ! Cela dit, cette proposition pose de sérieuses difficultés pratiques : l'une des plus importantes est qu'actuellement il n'existe pas de modèle permettant de déterminer le profit lié à l'exploitation des données issues du suivi régulier et systématique des internautes. L'effet budgétaire potentiel de la proposition n'est donc pas chiffré. Il est tout à fait clair que la mise en œuvre de ces propositions supposera une volonté politique et une coordination internationale forte : un «rééquilibrage» des droits d'imposer entre les Etats ne peut être obtenu que si un consensus international est trouvé et introduit dans des accords internationaux. Or, le contexte international apparaît favorable à ces propositions. En effet, à l'issue de leur réunion, les ministres des Finances et gouverneurs des Banques centrales du G20 ont indiqué dans leur communique final qu'ils étaient «déterminés à développer des mesures pour lutter contre l'erosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, à prendre les décisions collectives nécessaires» et attendaient le plan d'action complet que l'OCDE devrait leur présenter. Les grandes lignes de ce plan d'action sont cependant déjà connues, puisqu'elles apparaissent dans le rapport d'étape préparé par L'OCDE en vue de la prochaine réunion du G20. Dans ce rapport, l'OCDE part d'un constat suivant : «Si la question (de l'érosion de la base d'imposition) comporte à l'évidence un volet de discipline fiscale (...), ce qui est en jeu, c'est un problème plus fondamental relevant de faction publique, à savoir que les principes internationaux communs, inspirés des expériences nationales de partage de la compétence fiscale, n'ont peut-être pas évolué à la même vitesse que l'environnement des affaires. Les règles nationales de fiscalité internationale et les normes internationalement admises se réfèrent toujours à un environnement économique caractérisé par un faible degré d'intégration économique entre les pays, alors que l'environnement actuel des contribuables dans le monde entier se distingue par l'importance croissante de la propriété intellectuelle en tant que déterminant de la valeur et par l'évolution constante des technologies de l'information et de la communication». Pour répondre à ce phénomène, l'OCDE envisage d'élaborer un plan d'action de portée mondiale. Ce plan devrait : définir les mesures nécessaires pour traiter le problème de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices, fixer des délais pour la mise en œuvre de ces mesures, et déterminer les ressources nécessaires ainsi que la méthodologie propre à mettre en œuvre les actions convenues. L'OCDE entrevoit six pistes potentielles pour traiter le problème de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices, dont notamment les suivantes : préciser les règles en matière de prix de transfert. Selon l'OCDE, «les travaux actuels portant sur les biens incorporels, domaine qui suscite des préoccupations particulières, pourraient être intégrés dans une réflexion plus large sur les règles en matière de prix de transfert» ; «(...) proposer des solutions actualisées aux questions liées à la compétence fiscale, en particulier dans le domaine des biens et des services numériques. Parmi ces solutions pourrait figurer par exemple une révision des dispositions des conventions fiscales». A cet égard, bien que l'OCDE ait engagé depuis plusieurs mois des travaux pour préciser les problématiques prix de transfert lies aux biens incorporels ou la notion conventionnelle d'établissement stable, ceux-ci ne comprenaient pas de développements spécifiques à l'industrie du numérique. On peut donc anticiper une inflexion des travaux de I'OCDE en la matière. Un consensus international semble donc se dessiner sur 1'objectif à atteindre et sur les outils à utiliser. Il ne reste plus qu'à savoir si ces réflexions s'appuieront sur les concepts «traditionnels» de la fiscalité internationale, ou si de nouvelles notions - comme celle de données - seront introduites. II apparaît en revanche certain que, dans quelques mois, la fiscalité internationale sera différente de celle d'aujourd'hui.