Le ministre de l'Agriculteur, du Développement rural et de la Pêche, Sidi Ahmed Ferroukhi, se veut très rassurant quant aux risques de sécheresse qui menace le pays. Lors de sa visite d'inspection, hier, dans la wilaya de Boumerdès, il a affirmé que «le manque de pluviométrie n'aura aucune influence sur l'agriculture, et ce, grâce au programme du Président qui tend à augmenter les surfaces irriguées à 2 millions d'hectares en 2019». Sur le terrain, la réalité est tout autre. Dans la wilaya de Boumerdès, 80% de la surface agricole utile que recèle la région, estimée à 64 110 ha, est arrosée grâce aux eaux pluviales. La superficie des terres irriguées où on cultivait des céréales l'année dernière ne dépassait pas 210 ha, soit 26% de l'objectif tracé. Les quelques retenues collinaires et les trois barrages d'eau réalisés par l'Etat dans le but d'accroître la production agricole ne sont pas d'un grand secours pour les agriculteurs. «Il y a 10 ans, la wilaya disposait de 45 retenues collinaires, mais la quasi-totalité est envasée et ne contient plus d'eau», déplore un membre de la Chambre locale d'agriculture. Même les barrages d'eau de Naciria, Sidi Daoud et Cap Djinet ne sont pas exploités à bon escient à cause de l'absence de conduites. «Cela fait 5 ans qu'on attend la rénovation du réseau d'irrigation pour arroser une surface de 300 ha à partir du barrage de Hamiz. En vain. Notre région occupe la première place dans la production des produits maraîchers, mais nous n'avons pas d'eau pour irriguer nos champs. Et si cela continue comme ça, même nos puits vont tarir d'ici avril», s'inquiète un agriculteur de Boudouaou El Bahri, une localité qui compte plus de 4500 serres. Il faut dire que même la réutilisation des eaux conventionnelles n'est pas vulgarisée à travers le pays. La wilaya de Boumerdès compte trois stations d'épuration, dont la plus importante se trouve à Foes. Celle-ci a épuré 5,3 millions de mètres cubes d'eau en 2014, mais 93,12% sont rejetés à la mer. Pour le moment, seuls deux agriculteurs de Corso utilisent les eaux épurées dans l'irrigation après avoir déboursé 45 millions de dinars pour la réalisation des conduites. Lors de sa visite, le ministre a tenu à tranquilliser les producteurs de pommes de terre, précisant que l'Etat a pris, il y a dix jours, des mesures pour réguler la vente de ce légume afin de mieux contrôler le marché. «Nous avons décidé de récupérer le surplus de production et de stocker 40 000 t pour faire face à une éventuelle pénurie de ce tubercule à l'avenir et préserver l'équilibre du marché», a-t-il indiqué. Des fermes-pilotes sous-exploitées Les agriculteurs affirment que la pomme de terre est cédée à 15 DA/kg au niveau des marchés de gros. Certains craignent de faire faillite, accusant les spéculateurs et des propriétaires d'unités de stockage de profiter de cette situation. M. Ferroukhi a souligné, par ailleurs, que l'opération d'octroi d'actes de concession des terres agricoles n'a pas dépassé les 67%. Une opération qui traîne à cause du trafic et de la mafia du foncier agricole. «L'Etat donne des terres à ceux qui ne les exploitent pas», dénonce Mahfouf Halim (28 ans), rencontré hier en marge de la visite du ministre. «J'ai acheté, avec un acte notarié, 4 ha chez un membre de l'EAC Mohamed Brossi à Rouiba à raison de 20 millions de dinars. L'exploitation était abandonnée. J'ai dépensé plus de cette somme pour la remettre en valeur en réalisant 52 serres sur place, mais je n'ai toujours pas pu obtenir l'acte de concession», regrette-t-il. Un autre agriculteur, Kamel Rahal, dit avoir loué un hectare à un membre d'une EAC pour 12 millions de centimes pour faire une pépinière. «Je suis même allé à Béchar. Cela fait deux ans que j'ai demandé 50 ha là-bas pour les mettre en valeur, j'attends toujours une réponse. Un responsable de la DSA m'avait même proposé de me louer ses terres, j'ai refusé. Si l'Etat n'agit pas pour assainir la situation du foncier agricole, on ne pourra jamais réduire la facture des importations», préconise-t-il. Il y a deux mois, le Premier ministre avait déclaré à partir de Biskra que les terres agricoles de l'Etat qui ne sont pas cultivées seront retirées à leurs propriétaires. Cependant, aucune enquête ou autre mesure n'ont été enclenchées pour traduire cet engagement dans les faits. Pis, même les fermes-pilotes, placées en 2010 sous la tutelle de la SGP/SGDA sont sous-exploitées. C'est le cas dans les wilayas de Boumerdès, Tizi Ouzou, Chlef, El Tarf, Tipasa, Relizaine, etc. Certaines d'entre elles ont été concédées à des privés alors que d'autres sont laissées en jachère. La wilaya de Boumerdès en compte trois, la plus importante d'entre elles se trouve entre Issers et Bordj Menaïel. Elle s'étend sur 830 ha de terres à haut rendement agricole. Cependant, le gros de ce potentiel profite à la mafia du foncier et aux pseudo-agriculteurs. Plus de 500 ha sont occupés par des individus qui se sont même permis d'y econstruire des habitations.