Il est fort probable que l'interpellation du musicien de la place Audin par la police soit l'œuvre malheureuse de quelques fonctionnaires zélés de l'institution s'agrippant au degré zéro de la loi. C'est la présomption à laquelle invitent la confusion et le profil bas affiché par les autorités au lendemain de cet élan de solidarité insoupçonné qui a fait bruire les réseaux sociaux et, plus tard, la place elle-même. Les faits ne sont anecdotiques qu'en apparence cela dit, et sont exemplaires d'une réalité qu'il est de moins en moins possible au pouvoir de camoufler. L'incident est symptomatique de cette asymétrie de plus en plus manifeste des trajectoires culturelles et des évolutions conceptuelles entre une société qui laisse émerger de nouvelles aspirations et un Etat miné par les pétrins idéologiques et les improvisations politiques du pouvoir qui l'incarne. Il est sans doute plus aisé d'embarquer un frêle musicien armé de sa guitare qu'un gardien de parking ayant «cadastré» du trottoir et de la chaussée, par force persuasions, pour faire payer le stationnement… Ou assurer le minimum syndical attendu d'un gardien de la loi quand une femme traverse la rue sous les obscénités de quelque harceleur sexuel assuré de l'impunité. L'informel dans toute sa splendeur court les rues mais s'y attaquer pose à l'autorité des questions auxquelles elle ne peut trouver de réponses sans scier la branche à laquelle elle se cramponne et met par trop le pouvoir devant ses responsabilités. Plus globalement encore, quand la corruption économique et politique atteint les seuils qu'on connaît, le principe même de l'éthique et de la loi est renvoyé à la face de ceux censés les représenter comme la preuve de leur faillite et la pièce à conviction de leur culpabilité. Et c'est dans un contexte de délitement généralisé en matière de respect des lois qu'on trouve donc le moyen de chipoter sur le droit qu'a ou n'a pas un musicien à improviser sa scène éphémère sur une place publique et de s'inquiéter de ses potentiels effets subversifs sur la quiétude de la cité. Une coquetterie malhabile peut-être au départ, qui a vite fait de cataloguer ses auteurs et leur matrice institutionnelle comme de francs ennemis de la culture là où ils n'ont fait vraisemblablement que s'empêtrer dans les rets de leurs contradictions. Le fossé est évident entre un Etat fossilisé dans le renfermé de ses involutions et une société qui désormais bouge, certes pas toujours dans des directions homogènes, et distance jusqu'à frôler la rupture les institutions censées l'encadrer et la guider. Il y a aussi cette note d'espoir relevée par tous ceux que l'incident a intéressés. Désormais, la société, même déroutée par les tâtonnements des dirigeants et assommée par les bruits de leurs forfaitures, devient de plus en plus sensible à l'exigence des libertés et se donne les moyens qu'elle peut pour le manifester. La solidarité exprimée, au-delà de la sympathie témoignée au jeune guitariste molesté, voulait surtout dresser un rempart à un surcroît possible de musellement.