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L'ENTRETIEN DE LA SEMAINE
MA�TRE FAROUK KSENTINI � SOIRMAGAZINE �Il faut criminaliser le harc�lement sexuel�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 03 - 2012

Nous avons rencontr� ma�tre Farouk Ksentini � Blida et il a bien voulu se pr�ter au jeu des questions-r�ponses sur un sujet tabou qu�est le harc�lement sexuel des femmes.
Le Soir d�Alg�rie :Parlez-nous du harc�lement sexuel contre les femmes, est-ce un ph�nom�ne r�pandu ?
Me Farouk Ksentini : Absolument ! C�est un ph�nom�ne qui ne cesse de s�amplifier. Mais pour une raison ou une autre, les femmes h�sitent � ester en justice leurs harceleurs. J�ai eu � traiter des cas extr�mement difficiles. Le sujet reste tr�s d�licat car nos lois sont tr�s douces � cet effet. C�est une bataille judiciaire �reintante et souvent humiliante pour les victimes qui ont le courage d�aller aux tribunaux. Quant � l�issue, elle n�est pas toujours garantie. Les victimes peuvent �tre renvoy�es dos � dos avec leur mal.
Justement, avez-vous eu � d�fendre des cas o� les harceleurs ont eu gain de cause ?
Oui, actuellement � Blida, une dame qui travaille � l�OPGI m�ne un combat courageux et hardi. Elle a poursuivi en justice son sup�rieur qui la harcelait ; malheureusement, il a eu la relaxe et elle, une mise � pied ! C�est dire cette situation des plus rocambolesques o� la victime devient la cible � abattre quand elle ose se d�fendre. Je suis outr� de voir que des lois sur un comportement aussi honteux et grave soient d�sinvoltes et l�g�res. Si je fais le parall�le entre la loi sur le racolage sur la voie publique et le harc�lement sexuel, on constate que la premi�re est plus s�v�re que la seconde. L�article 347 de ladite loi stipule : �Est puni d�un emprisonnement de six mois � deux ans et d�une amende de 1000 DA � 20 000 DA qui quiconque par geste, parole ou �crit, ou pour tout autre moyen, proc�de publiquement du racolage de l�un ou de l�autre sexe en vue de les provoquer � la d�bauche .� Vous voyez que la peine maximum est de deux ans alors que pour le harc�lement sexuel elle est de 1 an. J�estime que le harc�lement sexuel est beaucoup plus grave. C�est un abus de pouvoir. Il est pratiqu� par la hi�rarchie en milieu professionnel et la femme �tant dans une situation de fragilit�, elle est expos�e au harc�lement sexuel quotidiennement. C�est moralement �prouvant et douloureux et quand il est r�current, il peut mener � la d�pression nerveuse.
Que faut-il faire pour emp�cher que les femmes soient expos�es ou pour au moins juguler ce ph�nom�ne ?
Il est imp�ratif que les peines concernant le harc�lement sexuel soient revues � la hausse. La loi dans ce sens doit �tre r�vis�e plus s�rieusement. J�irai plus loin, il faut criminaliser le harc�lement sexuel. Dans le cas d�un racolage, la victime a la possibilit� de d�taler ou de prendre le bus et de s�en aller mais dans le cadre d�une entreprise priv�e ou une institution de l�Etat, quand elle est confin�e dans un bureau, elle est � la merci de son responsable qui va r�it�rer ses avances matin et soir. Il y a dans ce cas un rapport de force et elle n�a aucun moyen de se d�fendre et il si elle se plaint, elle se heurte soit � l�indiff�rence soit � la suspicion.
Avez-vous eu � d�fendre beaucoup de victimes de harc�lement sexuel ?
Disons un nombre assez important, mais il faut savoir que toutes n�arrivent pas toujours devant les tribunaux. Il arrive que des femmes baissent les bras sous la pression. En dernier recours, elles font appel aux m�dias mais cela peut �tre � l�origine de plus de probl�mes. Je reviens au cas de la dame de Blida. Elle a pris son courage � deux mains en d�posant plainte mais la direction de l�OPGI au lieu de la prot�ger a fait le contraire en lui infligeant une mise � pied. C�est un non-sens. Quand j�ai plaid� cette affaire, j�ai rappel� au passage que c�est quand m�me malheureux qu�au moment o� le pr�sident de la R�publique pr�ne la promotion de la femme dans le travail et dans les institutions �ligibles et de renforcer sa position sociale, des femmes sont trait�es avec m�pris et condescendance.
Vous avez dit que beaucoup de femmes h�sitent � porter plainte, pourquoi ?
Les femmes ont peur de porter plainte, je dirais m�me qu�elles sont terroris�es, elles ont peur de ne pas �tre crues, de subir des repr�sailles et de passer pour des provocatrices. En plus dans ces cas, � moins d�avoir des t�moignages solides, il est difficile de pr�senter des preuves, les enregistrements, films et photographies ne sont pas valables l�galement, car l�avocat de l�accus� peut toujours r�torquer que c�est un montage. Il faut dire que leur parole n�a aucune valeur. On leur fait subir des humiliations et le responsable qui est accus� s�en sort tr�s bien en toute impunit�. La victime aura engag� sa r�putation, s�est donn� en spectacle devant l�instance judiciaire. La dame de l�OPGI est un cas vivant et r�cent, elle a plus de cinquante ans et n�a rien d�une pin-up, elle ne demande qu�� travailler. Le responsable qui est accus� dans cette affaire a dit qu�elle l�avait provoqu�. Il se prend pour Georges Clooney ! Tous les responsables coupables de harc�lement sexuel sortent le m�me argument, ils attirent les femmes dans leurs rets et une fois leur m�fait accompli, ils disent que ce sont elles qui les ont provoqu�s. Il faut que ces responsables servent d�exemple. Je connais beaucoup de directeurs et m�me des ministres qui ont �pous� leurs secr�taires alors qu�ils sont d�j� mari�s. Cela entre dans le m�me �tat d�esprit et la m�me d�marche que le harc�lement sexuel. C�est lamentable, j�estime qu�il n�y a rien de glorieux � se marier avec sa secr�taire quand on est d�j� mari� car il y a un rapport de force et d�argent.
Est-ce que vous ne pensez pas que cela fait partie de notre culture qui fait que la femme doit �tre soumise et ob�issante et que notre religion autorise la polygamie, � l�origine d�amalgames et de d�passements ?
C�est tout � fait vrai ! En plus nous avons une soci�t� sexiste et anti-f�minine. M�me notre langage populaire est bourr� d�expressions et de mots m�prisants envers les femmes. Vous savez, les Occidentaux se moquent de nous et nous traitent d�arri�r�s car nous avons fait de notre deuxi�me moiti� un �tre inferieur. Je vais vous parler franchement. Je fais partie de cette soci�t�, je connais mes compatriotes et je sais de quoi ils sont capables quand il s�agit de sexe. Ils peuvent commettre toutes les outrances pour accomplir leurs m�faits. Une soci�t� avec une culture et une mentalit� pareilles ne peut pas �voluer. C�est pour cela qu�il faut prot�ger les femmes et garantir leur int�grit� physique et morale. Vous dites que la femme qui porte plainte pour harc�lement sexuel n�est pas crue et est trait�e de provocatrice, c�est clair que c�est l��ternel image de la tentatrice. Il y a eu plusieurs cas comme celui des employ�es de la Banque d�Alg�rie ou encore l�employ�e du minist�re de la Culture mais la justice doit bannir les pr�jug�s et �tre impartiale� Quoi qu�elle fasse, on culpabilise la victime � tous les coups. On va imaginer tous les sc�narios qui prouvent sa culpabilit�. Si elle est coquette, on va supposer qu�elle cherche � s�duire, on va se demander pourquoi elle s�est coiff�e, pourquoi elle porte tel v�tement, pourquoi elle s�est habill�e l�g�rement. Si elle porte une mini-jupe alors l� elle devient une criminelle. Et m�me si elle porte le hidjab, on y trouvera tout aussi � redire. C�est juste hypocrite, on cherche des pr�textes pour condamner les femmes mais on ne plaint jamais les hommes qui les harc�lent, on trouve presque normal qu�ils ob�issent � leurs pulsions sexuelles comme des animaux et qu�ils se comportent comme tels. Pour ce qui est de la justice, elle a une attitude tr�s passive dans ce genre d�affaires, c�est pour cela qu�il faut revoir la question du harc�lement sexuel de fond en comble et punir s�v�rement les responsables qui s�adonnent � ce genre de comportements.
Selon votre exp�rience, quel est le statut personnel des hommes qui s�adonnent au harc�lement sexuel. Sont-ils des hommes mari�s ou des c�libataires ?
Vu les postes de responsabilit� qu�ils occupent ainsi que leur �ge, ce sont g�n�ralement des hommes mari�s qui cherchent par ce moyen � avoir des relations extraconjugales. C�est plus facile quand c�est sur le lieu du travail. Il peut avoir sa victime � sa merci. Ces gens-l� savent prendre leurs pr�cautions de fa�on � ne pas se faire attraper. Ils ne s�embarrassent pas de t�moins et donnent souvent l�image de responsables s�rieux, voire s�v�res, mais en priv�, ils changent totalement d�attitude envers leurs victimes � qui ils font semblant de ne pas s�int�resser. Il se peut que dans une entreprise, le m�me responsable jette son d�volu sur plusieurs employ�es. Ce sont des d�linquants sexuels qui peuvent aller tr�s loin dans leurs fantasmes. Souvent, il n�y a pas loin du harc�lement sexuel au viol et parfois au consentement. La femme finit par c�der par lassitude. Elle se soumet malgr� elle car elle est �minemment fragilis�e et affaiblie dans cette situation. Il faut savoir que le harc�lement sexuel n�est pas une histoire d�amour, c�est une histoire de pouvoir.
Et en ce qui est des femmes ?
Le plus �tonnant dans ces affaires, c�est qu�il n�y a pas de profil bien sp�cifique, les victimes peuvent �tre jeunes, d��ge m�r, belles ou moins belles, veuves, divorc�es, c�libataires, ou mari�es. En hidjab ou sans. Comme elles peuvent �tre de niveau d�instruction diff�rent. Vous savez m�me une femme de m�nage n�est pas � l�abri des assauts. Comme je vous le disais, c�est un abus de pouvoir. N�anmoins, les femmes instruites qui trouvent un soutien aupr�s de leurs familles et de leurs proches se d�fendent mieux, mais cela reste une bataille ardue et difficile. Les affaires de m�urs sont d�licates et traumatisantes, on n�en sort jamais indemne.
Que faut-il faire ?
Il y a un travail pr�ventif � accomplir, des campagnes de sensibilisation et des actions p�dagogiques � entreprendre. Il faut dissuader les responsables et pr�venir ce genre de comportement car il est aussi d�shonorant pour celui qui s�y livre que pour la soci�t� en elle-m�me. R�duire une femme qui vient travailler pour des raisons familiales ou personnelles � un objet sexuel est scandaleux. Mais c�est l� o� intervient le r�le des associations. Une femme ne doit jamais aller seule devant une juridiction. La r�forme engag�e en mati�re d�agr�ment des associations est extr�mement importante pour le futur. Une victime du harc�lement sexuel est isol�e car elle se bat non seulement contre son responsable mais contre l�institution qui l�emploie. Les responsables sont g�n�ralement bien �paul�s et ont des appuis hauts plac�s. Le combat est in�quitable. C�est celui du fort contre le faible. En Europe, les femmes, qu�elles fassent l�objet de violence ou de harc�lement sexuel, sont prot�g�es par des lois strictes et des associations qui les prennent en charge psychologiquement, administrativement, mat�riellement et judiciairement.
Justement en parlant de r�formes, celles du code de la famille n�est pas � l�ordre du jour. Beaucoup de femmes estiment que le mal vient de ce texte qui maintient la femme dans cette situation d�un �tre inferieur et la livre � tous les abus alors que la Constitution est tr�s claire � ce sujet. Pourquoi le pr�sident de la R�publique ne tranche pas dans le vif, le pr�sident Bourguiba l�a bien fait pour les Tunisiennes en 1956 ?
Le Pr�sident Bouteflika a impos� l�ordonnance portant code de la famille en 2005, il a impos� r�cemment un quota de postes politiques pour les femmes. Il y a certes des insuffisances, mais je ne doute pas de sa volont� d�aller vers la parit� et l��galit� des droits.
Portrait d�un harceleur sexuel
S�ducteur ou d�linquant ?
Un harceleur sexuel est-il un s�ducteur ou un d�linquant ? Le fil est tr�s t�nu entre les deux. Il peut �tre un v�ritable Casanova, mais sans les sentiments et le romantisme dont use ce personnage l�gendaire et qui, dit-on, se trouvent dans l��me de chaque homme qui r�ve du grand amour. Seulement, quand Casanova part � la conqu�te, la beaut� et l�intelligence sont sur son terrain de chasse, tandis que le harceleur sexuel puise ses ruses dans un autre registre. Il ne dira jamais �je t�aime� � celle qui tombe dans ses rets, car il n�est pas int�ress� par l�amour mais uniquement par le sexe. selon Me Ksentini, qui a eu � d�fendre des victimes, un responsable qui s�adonne au harc�lement sexuel sur ses subordonn�es est souvent mari�, donne l�image d�un homme s�rieux, un p�re mod�le et un mari affectueux. C�est le Dr Jekyll et M. Hyde. Selon des t�moignages de victimes, le harceleur sexuel prend beaucoup de pr�cautions pour ne pas �tre d�masqu�. Devant les autres, il ne montre aucun signe d�int�r�t pour sa victime, il peut m�me l�ignorer et jouer � l�indiff�rent. Il porte un masque. En priv�, il se d�brouillera toujours pour se retrouver seul avec sa victime qu�il va tarabuster et acculer � chaque entrevue. Son regard est langoureux et sa parole mielleuse. Ses gestes sont d�plac�s et ses mains baladeuses. Il lui fera des allusions grivoises et des avances franches. Il ira droit au but. Ses propositions sont pour le moins ind�centes mais sans �quivoque. Il veut une relation sexuelle. Le calvaire commence alors pour la victime. Au d�but, relate une victime, le responsable est gentil, pr�venant et attentionn�, ensuite, il devient offensif et fait des promesse de promotion pour soi-disant booster la carri�re de la victime. Il peut m�me lui proposer son aide � titre priv� en faisant attention � ne pas �veiller les soup�ons des autres employ�s, et comme l�a relev� Me Ksentini, �le harceleur sexuel est tr�s pr�cautionneux�. Si la victime succombe sous la pression, une fois qu�il assouvira ses fantasmes, il l�abandonnera pour passer � une autre et ainsi de suite. Mais si elle d�cide de r�sister, elle va souffrir le martyre. Ne tol�rant pas le refus, il deviendra dur et ex�crable. Il va passer au harc�lement psychologique. Il va la critiquer en public, d�valoriser son travail et l�humilier. Il trouvera des pr�textes pour la pousser vers la porte de sortie. Il va doubler d�ing�niosit� pour lui rendre la vie insupportable et usera de l�arsenal administratif mis l�galement � sa disposition.En trois tours deux mouvements, elle se retrouvera en conseil de discipline, subira des ponctions sur salaire, surcharge de travail, mise � pied et la liste est longue. Quand elle osera franchir le Rubicond en portant plainte, sa cause sera perdue car notre soci�t�, pour qui la femme est toujours coupable, ne la croira pas et le harceleur sexuel s�en tirera � bon compte gr�ce � une justice qui a habitu� les citoyens � ne pas trop croire en elle. Apr�s tout, il pourra toujours dire �c�est elle qui m�a provoqu�.� �Mais... juste une question, � quel moment a-t-elle eu le pouvoir ?�


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