Après le dossier de la décennie noire, c'est au tour des symboles de la guerre de Libération nationale de faire l'objet de ce qui s'apparente à une campagne sans précédent dans un climat politique général des plus délétères. Des documents de l'armée française publiés par le quotidien arabophone Ennahar révèlent les déclarations de Yacef Saâdi et Zohra Drif-Bitat sur l'organisation du FLN pendant la Révolution, après leur arrestation. Cela fait mal de voir des icônes de la Révolution, de l'héroïque Bataille d'Alger, «zigouillées» sur la place publique. Un document estampillé «secret» par les autorités coloniales françaises, daté du 8 octobre 1957, mis en ligne depuis quelques jours et repris opportunément, à dessein, par une chaîne de télévision privée et son site web, fait fureur. Yacef Saâdi et Zohra Drif, des héros de la lutte de Libération nationale, des légendes vivantes de la Bataille d'Alger, sont devenus, par la grâce de vulgaires détours que l'on veut faire jouer à l'histoire, «des traîtres». Si Ali La Pointe, Ptit Omar et Hassiba Ben Bouali avaient été arrêtés, ou tout simplement étaient encore de ce monde, ils auraient été eux aussi traînés dans la boue. Abane Ramdane, le concepteur du Congrès de la Soummam, a été qualifié de «traître» et le colonel Amirouche d'«égorgeur», sans oublier ceux qui ont été exilés ou tout simplement liquidés physiquement après 1962, sous prétexte qu'ils avaient renié les idéaux de Novembre alors qu'en réalité, leur «crime» avait été de refuser de prêter allégeance au prince du moment. Qui a conduit alors la glorieuse Révolution algérienne si tout ce beau monde était enclin à la trahison ? Le jeu auquel se prête le pouvoir et ses suppôts est dangereux. A vouloir trop se servir des grands noms de la lutte de Libération, il a fini par les avilir et, avec eux, les idéaux de Novembre. Nul n'est parfait ici-bas et ceux qui ont mené la bataille contre le système colonial et l'armée française ne sont pas forcément des saints, mais le devoir est de reconnaître qu'ils ont été les acteurs d'une grande épopée de l'histoire de l'Algérie. Le vulgaire lynchage qui prend pour cible Zohra Drif et Yacef Saâdi n'a rien d'anodin. Bien que le document mis en ligne, — racontant ce qui s'apparente à des confessions des deux moudjahidine arrêtés en 1957 — sorti bien évidemment des archives coloniales, ne renseigne en rien de plus les autorités françaises qu'elles n'en connaissaient déjà sur les leaders de la Révolution, sa divulgation ou son exploitation obéit par contre à une volonté manifeste de punir des personnalités qui ont fini par se rebeller contre la gouvernance chaotique du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika. Ainsi, pour avoir été contre le quatrième mandat du président de la République en exercice, Yacef Saâdi qui, dans une contribution publiée dans la presse en janvier 2014 (avant l'élection présidentielle) avait appelé désespérément Bouteflika à partir — et aussi révélé que ce dernier lui avait avoué «qu'il était fasciné par le pouvoir et que nul ne pouvait le lui ravir, si ce n'est la mort» — devait payer pour sa non-allégeance. Cela lui a valu non seulement son poste au Sénat, mais également des attaques qui mettent en doute son passé révolutionnaire. Zohra Drif fait l'objet d'un même traitement. Sénatrice du tiers présidentiel et vice-présidente du Conseil de la nation, très proche du Président, elle semble tombée en disgrâce visiblement à cause de son engagement dans la démarche des 19 personnalités ayant demandé «à voir le chef de l'Etat pour l'informer de la gravité de la situation que vit le pays». La moudjahida ne savait pas qu'elle avait commis un crime de lèse-majesté parce que l'initiative, bien qu'elle ne remette pas doute la «légitimité» du palais d'El Mouradia, a tellement dérangé les tenants du pouvoir qu'elle a de susciter leur virulente réaction. En servant aux moudjahidine des strapontins dans les institutions de l'Etat, ce n'est finalement pas un honneur qu'on veut leur rendre mais leur silence qu'on veut acheter. Le pouvoir et ses tartuffes sont capables du pire.