La mesure a été adoptée par le Parlement et devrait être mise en application sous peu : l'article 62 de la loi de finances 2016 autorise désormais l'Exécutif à ouvrir le capital des entreprises publiques. Un parfum de déjà-vu se faisait sentir le jour du vote, rappelant les vieux démons d'antan, lorsque des bijoux de famille étaient cédés au dinar symbolique sans qu'aucun contrôle soit assuré en aval. Plusieurs années après, le gouvernement, comme pour réparer un pas de danse raté, enclenche une opération d'évaluation qui concerne une cinquantaine d'entreprises privatisées par le passé. Le contrôle d'audit devrait conduire à la récupération, par l'Etat, de celles dont les repreneurs n'ont pas respecté leurs engagements. Simultanément, le gouvernement fait voter un nouveau dispositif non moins opaque, suggéré par la loi de finances 2016. Hormis le fait qu'elle limite l'ouverture du capital des entreprises publiques au privé national résidant, du taux de participation de l'actionnaire privé à 66% des actions et le droit de rachat des participations de l'entreprise publique après un délai de cinq ans, la loi ne spécifie aucunement le statut et la nature des sociétés publiques dispensées de cette opération. D'où l'inquiétude des travailleurs, des syndicats et des partis de l'opposition de voir les principaux bijoux portés par des mains aventurières. Flash-back Bien que nombre d'économistes adhèrent à l'idée de se séparer de certains actifs publics non rentables et non stratégiques, l'article 62, tel qu'il est conçu, peu conduire à des dérives dangereuses sans pour autant apporter les avantages escomptés pour l'économie nationale. Les deux précédentes opérations de privatisation se sont soldées par un échec cuisant. Il y a eu surtout une épaisse opacité dans la conduite du processus de privatisation, une multiplication des intervenants, et une législation pour le moins ambiguë. Et, au final, un bilan décevant. Contacté par El Watan, l'un des animateurs du premier processus de privatisation, Abderrahmane Mebtoul, ex-président du Conseil national des privatisations (1996-1999), tient à préciser, d'abord, que l'institution qu'il présidait a été un organe technique d'exécution n'ayant aucun pouvoir politique. Du coup, «toute décision était dépendante du Conseil national des participations de l'Etat présidé par le chef du gouvernement». Ses éléments de langage prennent une autre tournure lorsqu'il est question de se remémorer les zones d'ombre entourant le premier processus de privatisation mené entre 1997 et 2003. «Le Conseil des privatisations n'est pas concerné par cette situation. Installé en 1996, il a été gelé toute l'année 1997. Début 1998, il a été chargé de l'évaluation de quelques unités sélectionnées par le Conseil des participations de l'Etat», souligne Abderrahmane Mebtoul. Sur la suite, son témoignage fait apparaître des comportements pour le moins douteux : «Avec la démission du président Liamine Zeroual et au moment où les repreneurs avaient été sélectionnés sur la base d'une transparence totale, le Conseil des privatisations a été dissous fin 1999 et toutes les opérations annulées en 2000 sans qu'aucune ait été réalisée». Ce défaut de transparence qui a émaillé le processus a été maintes fois relevé par des analystes et des observateurs. A raison, car ce processus – qui devait relancer l'appareil de production pendant une période économique si rude – avait duré longtemps et a été mené dans l'opacité la plus totale. Entre 2000 et 2013, au ministère des Participations, certaines privatisations ont été réalisées sous l'égide des Sociétés de participation de l'Etat (SGP) qui ont remplacé les holdings, «mais sans que l'on sache exactement quel en était l'impact, bien que des partenariats avec des groupes étrangers ont été conclus par les holdings entre 1996 et 2013». M. Mebtoul souligne avec une ferme conviction que la base de la réussite du processus de privatisation «doit reposer sur une transparence totale et une large adhésion sociale». Or, pour le cas des précédentes privatisations, il y a eu un défaut de transparence criant. Le bilan était bien mitigé, voire décevant. Bilan décevant… Selon un bilan effectué par le controversé ex-ministre de l'Industrie Abdelhamid Temmar, 191 opérations de privatisation totale ont été enregistrées depuis 2003 et 33 partielles, soit à hauteur de 50%. Il a été également enregistré 29 joint-ventures et 63 ventes d'actifs à des acheteurs privés, à en croire Abdelhamid Temmar, s'exprimant fin 2008 dans une interview accordé à Oxford Business Group (OBG). Durant l'année 2007, son ministère a finalisé, d'après M. Temmar, «la privatisation de 69 entreprises publiques, 13 dossiers de privatisation partielle, neuf en joint-venture et 20 opérations de vente d'actifs au privé». Une trentaine d'autres opérations de privatisation ont été conclues en 2008, a-t-il confié à OBG, sans pour autant souffler mot sur les bénéficiaires. D'autres bilans plus fiables contrastent étrangement avec ce que Abdelhamid Temmar appelait «un processus bien organisé». Des experts et consultants avertis, qui ont eu à travailler sur ce processus, confrontent les déclarations des responsables à des vérités plutôt vérifiables. D'après Abdeldjellil Bouzidi, économiste et consultant, qui a travaillé pendant plusieurs années sur la politique de privatisation, relève que jusqu'aux années 2000, le secteur des entreprises publiques n'a connu que quelques transferts de propriété insignifiants. En novembre 2004, la quasi-totalité des entreprises publiques était toujours propriété de l'Etat. Un nouvel appel d'offres a été lancé par le gouvernement à l'adresse des investisseurs sous la formule de «gré à gré», mettant dans le même sac toutes les entreprises publiques, exception faite de Sonatrach, Sonelgaz et SNTF, jugées «stratégiques». De 2003 à 2006, 423 privatisations ont été réalisées, dont 134 «petites» (48 agences pharmaceutiques de l'entreprise Endimed et 86 opérations de cession d'actifs au profit d'institutions et établissements publics). Vendre pour une poignée de dinars Les privatisations réalisées entre 2003 et 2006 ont rapporté à l'Etat le faible pactole de 105,9 milliards de dinars, alors que le montant des investissements projetés par les repreneurs était légèrement supérieur à la cagnotte gagnée (145,2 milliards de dinars) selon des chiffres du ministère de l'Industrie. En 2007, le gouvernement a lancé un nouvel appel d'offres pour la privatisation de 13 entreprises, dont l'ENIEM, Sonaric, ENPEC, ENAD, Sonatro, etc. La suite de ces opérations est peu ou prou connu, tant aucun travail d'audit n'a été effectué. Les privatisations se sont vite transformées en opérations de désengagement de l'Etat, avec comme visée de désendetter le Trésor public. Ainsi, les ambitions assignées aux différentes opérations de privatisation n'ont pu être réalisées. Les objectifs de transfert technologique, de conquête de débouchés extérieurs et d'améliorations du management se sont avérés paroles creuses. Sur fond de raréfaction de ressources nécessaires à la subvention de bien des entreprises publiques, l'Exécutif se remet aujourd'hui aux vieilles recettes des années 1990 et 2000. Les experts et économistes croient d'autant plus à de nouveaux risques d'abus qui seront bien plus dangereux que les précédentes privatisations tant aucun cadre réglementaire n'est fixé dans la nouvelle loi (article 62 de la loi de finances 2016) afin d'éviter de revivre les conséquences désastreuses du passé. Contacté par El Watan, Yassine Benadda, économiste, estime qu'«il est primordial de clarifier par la loi un cadre réglementaire afin d'éviter de revivre les conséquences désastreuses pour le pays des privatisations passées. De plus, la volonté du gouvernement de privatiser dans l'urgence est risquée; nous devons faire attention au calendrier des privatisations pour éviter de brader nos actifs nationaux». L'économiste estime qu'«en l'état, cet article de la loi de finances 2016 est dangereux puisqu'il permet tout les abus». Il doute même que ces nouvelles privatisations puissent apporter une relance de l'appareil national de production. Entre le scepticisme des économistes, le bilan en demi-teinte des précédentes privatisation et le forcing de l'Exécutif, il y a absence de consensus sur au moins le mode procédural.