Pourtant et avant même que le chantier ne soit lancé, il fait déjà polémique. Au-delà des préoccupations écologiques qui vont de pair avec la réalisation de ce genre de structures, c'est surtout l'emplacement, l'accomplissement et le montage financier du projet qui semblent susciter certaines inquiétudes. Dimanche, le Groupe national public des services portuaires a signé un protocole d'accord avec les deux compagnies chinoises CSCEC (China State Construction Corporation) qui, rappelons-le, a la charge de la réalisation de la Grande Mosquée d'Alger et CHEC (China Harbour Engineering Company) pour la création d'une société mixte de droit algérien chargée de la réalisation des études et de la construction, ainsi que de l'exploitation du futur port dont la gestion a été confiée à la compagnie chinoise Shanghai Ports. La structure, qui devra être réalisée en 2 phases sur 7 ans, sera en eaux profondes avec un tirant d'eau de 20 mètres. Elle disposera également de 3300 mètres linéaires pour 23 quais, lui permettant de devenir un port de transbordement d'une capacité de traitement de 6,5 millions de conteneurs et de 25,7 millions de tonnes/an de marchandises. Un projet qui a d'ailleurs été bien accueillis par les professionnels du secteur, car il permettra d'alléger la pression sur les ports du centre du pays, à savoir ceux d'Alger et de Ténès. Il permettra aussi de réduire les coûts logistiques, dans la mesure où ces derniers constituent pas moins de 35% du prix d'un produit en Algérie, contre 15% en moyenne mondiale. Il permettra aussi, selon ses concepteurs, de relancer le transport marchand en Algérie, détenu à 98% par des armateurs étrangers et qui coûte la bagatelle de 4 milliards de dollars par an. Cependant et malgré les attraits d'un projet d'une telle envergure, des interrogations subsistent quant à l'ambition du nouveau port, car il en faut de l'ambition pour tenir tête à des ports d'envergure mondiale, comme celui de Fos-sur-Mer, à Marseille, en France, de Tanger Med, au Maroc, ou encore le port de transbordement de Malte. Certains observateurs craignent que l'ambition ne soit revue à la baisse et craignent que l'infrastructure, qui coûtera 3,3 milliards de dollars, financée par endettement, ne finisse par devenir un simple comptoir commercial. Il est vrai que le ministre des Transports, Boudjemaâ Talaï, avait annoncé dimanche que le nouveau port disposera d'une surface de 2000 hectares devant recevoir des projets industriels. Cependant, nombreux sont ceux qui remettent en cause l'emplacement d'El Hamdania, emprisonné par le piémont du mont Chenoua. Ouverture du secteur portuaire au privé Pour en comprendre les enjeux, il est utile de rappeler certains faits. L'étude initiale menée, à la demande du gouvernement algérien, par cinq bureaux d'étude durant les années 70' avait conclu que l'emplacement idéal aurait été Cap Djinet. Selon l'expert Farid Bourenani, cette étude se basait sur plusieurs paramètres : à savoir le tirant d'eau, la proximité du chemin de fer et des routes, la proximité du gazoduc 48 pouces qui pourrait acheminer le gaz pour l'industrie à partir de Hassi R'mel, ainsi que l'université de Boumerdès, qui est un véritable vivier de compétences. Un site idoine pour diverses industries, notamment l'automobile. D'ailleurs, ce sont ces facteurs qui ont poussé un groupe privé algérien à reprendre le projet à son compte, avant qu'il ne reçoive une fin de non-recevoir, avec pour argument le fait que les ports sont du domaine stratégique de l'Etat. Quoi qu'il en soit, les autorités ont décidé de reprendre le projet par le biais du ministère des Travaux publics et celui des Transports. Le projet de nouveau port a ainsi souffert des multiples hésitations quant à l'emplacement idoine qui s'est d'abord fixé à l'ouest de Ténès, puis à l'est de Ténès. A l'époque, cet emplacement avait essuyé certaines critiques, car situé en zone montagneuse. Le choix s'est ensuite porté sur El Hamdania, à l'est de Cherchell, sans que les problématiques majeures ne soient réglées. Et, entre-temps, divers projets d'industrie automobile sont implantés ailleurs, à Oran exactement. Ce qui renseigne sur la faible planification qui mine la politique de développement industriel du pays. Un comptoir pour le made in China ? L'autre préoccupation majeure demeure liée au mode de financement de ce projet. Ainsi et après s'être longtemps enfermé dans une approche souverainiste de la gestion des espaces portuaires, le gouvernement algérien, mis à l'épreuve par la crise, décide de recourir au partenariat et d'ouvrir cet espace au privé national et étranger. Bien que la nouvelle approche peut être salutaire dans l'absolu, certains facteurs laissent pantois. Le fait est que la nouvelle structure sera financée sur un crédit accordé par des banques chinoises au profit d'une société de réalisation bien chinoise. Bref, tous les ingrédients d'un crédit concessionnel. Ce qui ne veut dire qu'une seule chose : un retour à l'endettement externe. D'où l'intérêt de disposer d'une infrastructure compétitive et susceptible d'apporter une plus-value à l'économie nationale. Pour justifier l'opportunité d'un tel projet, les responsables du secteur mettent en avant la position stratégique du port qui constitue une porte d'entrée majeure non seulement vers le marché africain grâce à plusieurs grands projets d'infrastructures comme la Transaharienne, mais aussi vers l'Europe. Et c'est en cela que ce nouveau port sera stratégique, comme le dit si bien le ministre des Transports. D'où l'appétit des Chinois pour le projet en question et qui ont fini par arracher non seulement la réalisation du projet, mais également son exploitation et sa gestion. Les Chinois, qui ont en outre décidé d'investir pas moins de 60 milliards de dollars dans divers projets d'infrastructures en Afrique, ont déjà fait main basse sur de nombreux ports stratégiques en Afrique de l'Ouest, à l'image de ceux de Nouakchott en Mauritanie, Lomé (Togo) dans le golfe de Guinée, ou celui de Pointe Noire au Congo. Le nouveau port d'El Hamdania destiné à mieux gérer les marchandises importées mais aussi les exportations et le transbordement de marchandises à réexporter ne risque-t-il pas de devenir un comptoir pour les produits chinois à destination de l'Afrique et de l'Europe ? Il appartient aux autorités de tirer le meilleur parti d'un nouveau rapprochement de la Chine qui, elle, ne perd pas de vue ses objectifs stratégiques.