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Publié dans El Watan le 25 - 02 - 2016

La presse occidentale, depuis quelque temps, se montre de plus en plus inquiète et même assez agressive quand elle parle de l'Algérie. Dans le tumulte des crises et des guerres qui secouent le monde, elle n'hésite pas à prendre les raccourcis les plus faciles et les plus pessimistes pour semer dans les esprits le trouble et la terreur. C'est en tous cas ce que suggère le quotidien de droite français Le Figaro avec un spécial Algérie au titre très explicite : «Pourquoi l'Algérie fait peur à l'Europe ?». La série d'articles qui y est proposée par les «spécialistes» qui suivent à la trace l'évolution de notre pays sur les plans politique, économique et sécuritaire aboutit à la même conclusion.
Le risque d'instabilité étant plus que probable, il y a une sérieuse menace de l'installation d'un chaos à la libyenne dont on devine les répercussions dramatiques qu'il aura sur l'Europe avec son lot de nouveaux migrants qu'il faudrait gérer. Sombre perspective qui est apparemment prise très au sérieux. Le Figaro se soucie donc du danger imminent qui interpelle le vieux Continent et invite insidieusement l'extrême droite à suivre son regard face à une situation géostratégique qui ne tardera pas, selon ses prévisions, à exploser.
Pour résumer, le journal en bon objecteur de conscience braque les projecteurs sur une région de la Méditerranée au bord d'un violent séisme dans lequel la dimension sécuritaire prend toute sa signification. Cette annonce alarmiste et foncièrement paternaliste tranche radicalement avec le discours officiel qui ne cesse de louer le mérite des dirigeants algériens à pouvoir maintenir le pays loin des zones de turbulences provoquées par les printemps arabes. Et il n'y a pas que la majorité au pouvoir à soutenir cette thèse que notre gouvernement fait valoir en toutes circonstances pour légitimer la politique de la réconciliation nationale prônée par Bouteflika, et pour montrer bien sûr à l'extérieur que le pari de la stabilité a été gagné.
Dans les milieux politiques et médiatiques parisiens, proches ou pas du sérail algérien, on reconnaît, même si ce n'est pas exprimé explicitement parfois, que l'Algérie a su malgré les convulsions politiques et sociales qui la traversent à maintenir le cap de cette stabilité – politique et sécuritaire – qui apparaît aujourd'hui si fragile et si précaire selon la vision prophétique du quotidien français. Même si les ingrédients de ses analyses ne sont pas dénuées de fondement, les Algériens eux-mêmes reconnaissent que l'Algérie n'est pas à l'abri des tempêtes sociales et économiques qui peuvent surgir à tout moment compte tenu des effets désastreux d'une gouvernance complètement débridée et incohérente, d'aucuns pensent qu'il y a une dose d'exagération dans l'argumentation globale qui est loin d'être innocente.
On retrouve d'ailleurs le substrat de cette volonté funeste à vouloir noircir plus qu'il n'en faut le tableau dans l'éditorial du journal qui ne trouve aucune gêne à préconiser carrément une ingérence incontournable de la France dans le processus de succession à la magistrature de Bouteflika, président malade qui n'a plus les capacités à diriger le pays et donc à l'orienter en fonction de la vision tricolore. Le paternalisme de papa est ici renforcé par une affirmation appuyée qui voudrait rappeler à ceux qui en doutaient encore que l'Algérie reste bien dans le giron français.
En porte-voix autoproclamé de la droite française pure et dure qui n'entend faire aucune concession à une ancienne colonie dont le combat avec les nostalgiques de l'Algérie française n'est pas encore terminé, Le Figaro assurément a voulu jouer sur deux registres : aggraver encore davantage le discrédit d'un pays qui subit de plein fouet la crise financière, comme de nombreux pays dont l'économie dépend presque totalement du pétrole, et mettre la majorité socialiste dans l'embarras sachant que la «politique algérienne» de Hollande apporte un soutien fort au régime de Bouteflika.
Décortiquer les difficultés algériennes pour dresser les horizons les plus sombres a certainement, pourrait-on dire, davantage servi à structurer la tendance radicale anti-algérienne de l'organe droitier pour donner plus de poids à la critique contre le gouvernement en place vacillant et de plus en plus vulnérable. La droite dite républicaine tire à boulets rouges sur les socialistes en proie à de profondes divisions, et c'est dans ce contexte de confrontation frontale dans la perspective de la prochaine élection présidentielle où tous les coups sont permis que le «dossier algérien» a été concocté pour affaiblir le camp adverse.
Que nous dit le journal en fait ? Que l'Algérie est mal gouvernée ? Que la politique du pouvoir absolu est source d'instabilité ? Que la baisse du prix du pétrole va aggraver la crise économique et sociale ? Que la démocratie est un leurre ? Que les islamistes sont à l'affût ? Que la situation sécuritaire à nos frontières est explosive ? Tout ça on le sait, rien d'original. La nouveauté, en revanche, c'est de constater que le quotidien si cher à Sarkozy et dont la ligne n'a jamais été tendre avec l'Algérie depuis son indépendance est capable de sacrifier ouvertement ses principes éthiques pour s'impliquer dans un acte politique qui n'avait pas besoin d'un tel alibi médiatique pour convaincre l'opinion publique.
N'est-ce pas le même journal qui avait publié, pour «célébrer» le premier anniversaire du quatrième mandat de Bouteflika fortement contesté par la société algérienne, un cahier de huit pages publicitaires dithyrambiques sur l'image positive que renvoyait l'Algérie dans tous les domaines d'activités moyennant une facture astronomique ? Le gouvernement algérien qui fait pression sur les gros annonceurs étrangers (français notamment) pour ne pas donner de la pub aux grands titres de la presse locale dont fait partie El Watan, s'était cru intelligent de faire commande d'un encart aussi coûteux sur les colonnes du Figaro. Il pensait qu'avec l'argent (du contribuable) il pouvait s'offrir une belle vitrine à l'extérieur. Le «Spécial» que lui renvoie aujourd'hui le journal de droite est à la mesure de sa désillusion. Est donc pris qui croyait prendre…


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