Ahmed Amrani, Nabil Messaï, Hicham Menani, Amar Mostefaoui, Fares Chaâbani, Lotfi Lekhoua et d'autres artistes et intellectuels relèvent depuis quatre ans le défi d'organiser, à El Oued, les Journées maghrébines du théâtre. Les animateurs de l'Association Ochaq el khachaba (Les amoureux de la scène) sont allés, malgré le manque de moyens, jusqu'au bout de leur rêve en organisant une manifestation culturelle annuelle dédiée au quatrième art dans une ville qui n'a pas d'espace réservé au théâtre. Une ville où il n'y pas de galerie d'art ni de salle de cinéma. Le chantier de rénovation de l'ancienne maison de la Culture Mohamed Lamine Lamoudi, située au centre-ville, traîne depuis deux ans. Le projet du Théâtre régional d'El Oued est passé par plusieurs «phases» bureaucratiques. «Ce projet est bloqué en raison de l'inexistence d'assiette foncière. Vous imaginez, on nous parle de problème foncier en plein sahara. Cela ressemble à une blague !» ironise Ahmed Amrani, président de l'Association Ochaq el khachaba. Selon Ahmed Douyem, directeur de la culture, le projet du théâtre régional est gelé par mesure d'austérité du gouvernement. Ce projet a été inscrit en 2012 et doté d'un budget de 470 millions de dinars. Un terrain de deux hectares a même été dégagé au quartier Taksbet. La fin des travaux était prévue pour 2014. Que s'est-il donc passé pour que le projet ne démarre jamais ? Le ministère de la Culture a pourtant programmé plusieurs projets, dont la réalisation d'un complexe culturel à El Oued et la sauvegarde des anciens quartiers à Guemar et El M'ghaei. L'austérité va-t-elle tout remettre en cause ? «Les jeunes veulent respirer, participer ou assister à des activités culturelles. Ils ont besoin d'espaces pour cela. Nous nous faisons pas de pression sur l'autorité, mais nous voulons qu'elles s'intéressent un peu aux demandes des jeunes du sud du pays», souligne Nabil Ahmed Messaï, coordinateur des Journées maghrébines du théâtre. Pour Ahmed Douyem, El Oued est, sans conteste, une ville de la culture en Algérie. Il cite l'existence de toutes les formes de la poésie comme le Melhoun et le Fassih et les chants populaires. «La troupe Ochaq el khachaba qui organise ces journées a fait d'El Oued une des villes du théâtre en Algérie. Et je peux vous dire qu'il y a aura un théâtre régional dans les prochaines années», dit-il. Des lignes qui bougent Créée en 2006, l'Association Ochaq el khachaba ne cesse de faire bouger les lignes dans la Vallée du Souf poussée pour un grand amour pour les arts vivants. «Nous sommes tous des comédiens dans plusieurs troupes et nous avons décidé de créer cette association car nous partageons le même intérêt pour le théâtre. Certains sont partis, d'autres sont restés. Nous continuons notre action avec l'espoir d'élargir la culture du théâtre dans notre région, mais aussi celle de la paix», explique Ahmed Amrani. Ochaq el khachaba veut contribuer à la consolidation d'un dynamique mouvement théâtral dans le sud du pays. Elle partage ainsi le travail que font dans la discrétion Haroun Kilani et Ali Kerboun à Laghouat, Okbaoui Cheikh et Abdelkader Rouahi à Adrar, Abdelkader Azzouz et Wahiba Baali à Tamanrasset, et d'autres artistes à Tindouf, Biskra et Djanet. «Avant d'être une association, Ochaq el khachaba est d'abord une troupe de théâtre. Nous sommes en tout une trentaine de membres», précise Ahmed Amrani rappelant que Ochaq el khachaba a décroché le prix du meilleur comédien en Jordanie et a représenté l'Algérie au Maroc et en Egypte. Ochaq el khachaba a produit plusieurs pièces depuis sa création : Al maktab 13 (Bureau 13), qui traite de la question du chômage, Mouch maâkoul (Incroyable), El harba wine (où fuir)... «Nous venons de terminer un monodrame, Dhilou al général (L'ombre général) qui sera présent au prochain festival du monodrame au Koweït», annonce le président de l'Association. Parlant des troupes invitées du Maghreb, et parfois du Moyen-Orient, Nabil Ahmed Messaï a insisté sur l'importance d'échanger des expériences. «Nous voulons avoir un jumelage entre troupes, faire connaissance. Cette année, nous avons choisi le slogan ''Théâtre au service de la paix et de la réconciliation'' parce que le théâtre est proche du public. C'est le meilleur vecteur d'idées», note-t-il. Il évoque le projet d'un montage d'une pièce maghrébine commune pour 2017. «Nous voulons former une nouvelle génération du théâtre. Notre idée est de puiser dans le réservoir des étudiants de l'université d'El Oued. L'université doit être et doit rester le lieu de rayonnement culturel pour l'ensemble de la société», souligne-t-il. La quatrième édition des Journées maghrébines du théâtre a connu quelques difficultés sur le plan de l'organisation. Une troupe marocaine a confirmé sa participation aux Journées avant de se retirer. Khedoudji Sabri, qui devait être membre du jury, a été bloquée aux frontières par les pafistes tunisiens qui lui ont reproché de ne pas avoir un passeport biométrique. «Comment peut-on encore demander aux Libyens d'avoir des passeports biométriques alors que le pays est en état de guerre ?» proteste Ahmed Amrani. Selon lui, l'ambassade d'Algérie à Damas a refusé d'accorder des visas à des artistes syriens qui étaient invités à El Oued. Aucune explication ne leur a été donnée. «Nous reconnaissons l'existence de certaines faiblesses et nous promettons d'améliorer l'organisation l'année prochaine», déclare Nabil Ahmed Messaï. Ahmed Amrani a, lui, souhaité que les Journées passent au statut de festival institutionnalisé par l'Etat. Pour rappel, le grand prix des 4es Journées maghrébines du théâtre a été décroché par le monodrame Rahla de Tounes Aït Ali. L'édition 2016, qui s'est déroulée du 15 au 19 février, était dédiée au comédien Sid Ali Kouiret, disparu en 2015.