Alors que tout le monde s'attendait à une extradition de Chakib Khelil pour être présenté devant la justice algérienne, voilà que l'ancien ministre de l'Energie accède en toute liberté au salon d'honneur de l'aéroport d'Oran, accueilli comme un dignitaire par le wali et représentant de l'Etat lui-même. L'Algérie est bien le pays des miracles ou plutôt des leurres : rien n'est vraiment ce qui paraît être ou ce qui est. Ce retour tonitruant et «blanchissant» de l'ancien ministre, dont le nom a été associé au scandale Sonatrach, confirme une fois de plus la dépendance de la justice en Algérie qui ne cherche plus à établir la vérité et garantir la force du droit. On ne se soucie plus des formes, on sacrifie le droit sur l'autel des intérêts de clans. L'absolution est même offerte en permis d'enfreindre la loi. Les affaires dites Sonatrach 1 et 2 — en sus de la gravité des faits criminels cités — portent pourtant le sceau de l'atteinte à la souveraineté nationale. La principale compagnie nationale et source de revenus du pays n'a pas échappé à la corruption et à la dilapidation. L'opinion publique a vu défiler le feuilleton Sonatrach qui a fini par déboucher sur un simulacre de procès et un retour triomphaliste de Khelil au pays. On ne peut s'empêcher de se demander comment une telle chose est possible. Les liens de l'ancien ministre avec le président de la République suffisent-ils à lui épargner d'être ne serait-ce qu'entendu par les juges ? Ce retour au pays signe-t-il un retour aux affaires, comme le suggère le patron du FLN, Amar Saadani ? On ne peut oublier que ce dernier, qui jurait d'avoir la tête de Toufik, jure aujourd'hui que Khelil sera appelé à occuper des postes de responsabilité. Osera-t-on l'inconcevable ? Il y a dans cette affaire de retour comme une odeur de forcing qui semble conjuguer bien des poids en interne mais aussi en externe. Si Khelil est proche du clan présidentiel, il l'est aussi des intérêts des compagnies américaines. Il y a donc lieu de s'interroger sur de probables pressions américaines pour imposer une réhabilitation de celui qui a toujours servi les intérêts des compagnies US en Algérie et même ailleurs. Quand Sellal évoquait le recours à un nouveau modèle économique, visait-il une orientation ultralibérale qu'un Chakib Khelil est capable de mener et même de la manière la plus sauvage, comme ce fut le cas en Argentine ? Au-delà du procès Sonatrach, il est intéressant de se pencher sur le bilan de la gestion Khelil du secteur de l'énergie. Tout le monde se rappelle de la fameuse loi sur les hydrocarbures qui avait failli offrir aux compagnies étrangères, sur un plateau d'argent, toute la richesse énergétique du pays. Nous y avons échappé grâce à l'intervention salutaire de l'ancien président vénézuelien Hugo Chavez. Khelil mena par ailleurs une politique de surexploitation des gisements au profit, encore une fois, des compagnies étrangères et surtout américaines. Il permit à Haliburton d'engranger des milliards de dollars au détriment de Sonatrach. Hocine Malti, ancien patron de Sonatrach, dans une contribution qui alertait sur les dérives Khelil, soulignait qu'à son arrivée au ministère de l'Energie en 2000, les importations américaines de brut algérien étaient insignifiantes, avec 50 000 tonnes sur toute l'année. Elles sont passées à 500 000 tonnes l'année suivante pour culminer à 22 millions de tonnes en 2007 et se stabiliser à 16-17 millions de tonnes en 2010. La surexploitation des gisements, notamment celui de Hassi Messaoud, a mené à une baisse du niveau de production, compromettant ainsi le potentiel énergétique du pays. Ayant fait ses classes dans les universités américaines, Khelil ne connaît son pays d'origine l'Algérie qu'en 1973, quand il est appelé à rejoindre Sonatrach. Il occupe un poste de conseiller à la présidence de la République en 1976, puis quitte l'Algérie en 1980 pour devenir employé de la Banque mondiale. Hocine Malti, dans son livre Histoire secrète du pétrole algérien, évoque le parcours de Chakib Khelil et rappelle son passage en Argentine au nom de la Banque mondiale où il est arrivé à convaincre le gouvernement de vendre la principale compagnie nationale de pétrole Yacimientos Petroliferos Fiscales. Une décision qui plonge l'Etat argentin dans une grave crise d'endettement. Khelil avait même été pressenti, par ses amis proches de l'Administration Bush, «comme candidat potentiel au poste de directeur général de la compagnie nationale irakienne des pétroles, au lendemain de l'invasion de l'Irak par les Américains en 2003», note Malti dans son ouvrage. Le proche avenir nous dira dans quel projet ou registre inscrire ce come-back de Chakib Khelil qui fleure la mission pour l'enfant de la Banque mondiale.