Il y a manifestement du tragi-comique dans ces histoires de statues et de monuments placés ici et là. La gravité des sujets est mêlée effrontément au risible des situations et dans les conflits épisodiques provoqués par ces initiatives administratives, et il est rare où le bon sens l'emporte. Car si à Constantine et à Aïn M'lila les scandaleuses statues respectivement celles de Abdelhamid Benbadis et Larbi Ben M'hidi ont été retirées, il n'en est pas de même dans toutes les situations. Le kitsch a pris le dessus.Le buste réalisé à la mémoire du héros de la Révolution, Larbi Ben M'hidi, a fait scandale dans tout le pays. Quatre jours à peine après son inauguration, le wali d'Oum El Bouaghi a été forcé d'ordonner son déboulonnage le 6 mars dernier. Une opération qui a eu lieu pendant la nuit, dans la discrétion, pour éviter certainement l'expression de la colère populaire manifestée à Aïn M'lila, village natal du martyr et lieu choisi pour ériger ce qui devait être sa statue commémorative. A Aïn M'lila, davantage qu'ailleurs, cette statue a été ressentie comme une atteinte à l'image de Larbi Ben M'hidi et une blessure infligée à la mémoire collective. D'où un élan de rejet populaire et quelques passages à l'acte qui allaient en s'amplifiant. Le pire a été évité certes, mais le problème n'est pas pour autant réglé. Rien ne dit que ceux ayant mené l'opération ne vont pas récidiver. D'ailleurs, ils agissent ainsi depuis très longtemps au mépris des conditions évidentes qui devraient prévaloir à toute installation de monument : le sens et l'esthétique. Un marché comme les autres ? On ne commande pas une statue comme on commande le bitumage d'une rue. Pourtant, à la wilaya d'Oum El Bouaghi c'est le cas. Le buste dédié à Larbi Ben M'hidi a été commandé par la wilaya sur un budget sectoriel à hauteur de 228 millions de centimes. Rien n'a été réfléchi dans la démarche du commanditaire. Et la tâche a été confiée à un jeune artiste de Aïn Beida, inconnu au tableau des sculpteurs. Par conséquent, le résultat ne pouvait être meilleur. L'indignation qui s'est propagée dans les quatre coins du pays ressemble à celle provoquée, il y a une année, par la non moins hideuse statue de Abdelhamid Benbadis, placée au centre-ville de Constantine à la veille de l'inauguration de la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe. La statue «offerte» par un entrepreneur (qui a été grassement payé pour la réfection des trottoirs du centre-ville) a provoqué un déluge de condamnations. Et pour cause, elle a été réalisée avec un matériau vulgaire, quelque part en Europe par des sculpteurs à qui on a donné une simple photo du Cheikh. La démarche légère et insouciante n'a pas plu à la famille Benbadis qui a appuyé le sentiment général et demandé officiellement le retrait de la statue. Mais ici aussi, les autorités ayant pris en charge l'initiative de l'entrepreneur en fermant l'œil sur «le rendu» ont fait montre du même aveuglement que celui de la wilaya d'Oum El Bouaghi. Elles ont même tenté de défendre leur démarche et son résultat ! Chinoiseries D'ailleurs, si la statue a fini par être déboulonnée, d'autres «choses» placées à Constantine à la même occasion et avec le même amateurisme ornent toujours le centre-ville. Il en est ainsi du monument en toc placé au milieu d'un jet d'eau horrible au centre de la Place des martyrs. Une «chinoiserie» importée de Chine par un commerçant qui, sans doute, n'a rien à voir avec le marché de l'art, et commandé par des ronds-de-cuir qui font abstraction des conditions requises pour réussir l'objectif. «La chose» représente des oiseaux qui grimpent (!?) sur une rampe en spirale pour atteindre le sommet où se trouve une boule en faux métal, qui ressemble à un virus cancéreux ! Une absurdité énorme au milieu d'un grand musée d'horreurs, complété par un mirador qui ne sert absolument à rien, la façade d'un bâtiment gigantesque animée par des lumières de discothèque et, enfin, un grotesque mur d'eau qui a été refait deux fois en six mois. Le drame, c'est que le wali et l'équipe qui a conçu toutes ces horreurs pensent le contraire et s'accrochent solidement à ces «injazate» ! Concernant le monument en toc, il convient de noter qu'il en existe beaucoup dans la wilaya de Batna, notamment dans les grands ronds-points. Tous importés de Chine. Pourtant, ce ne sont pas les sculpteurs qui manquent dans cette wilaya. Des artistes ignorés, à Batna comme ailleurs, et qui dans tous les cas ne peuvent pas être tenus pour responsables du kitsch envahissant le paysage urbain.