Depuis hier, le monde est entré dans un tunnel. Tunnel sombre et à l'issue incertaine. L'essai nucléaire de la Corée du Nord, qui a eu l'effet d'un gigantesque séisme, a tout remis en cause. Le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), longtemps considéré comme un instrument incontournable par la communauté internationale et longtemps méprisé par des pays comme les Etats-Unis, Israël et le Pakistan, ne sert presque à rien. La course à l'armement atomique est relancée. Le Conseil de sécurité, dont les cinq membres permanents sont les plus grands fabricants d'armes du monde, a condamné l'essai nord-coréen. Ce conseil, qui a fait preuve d'une incapacité manifeste à arrêter l'attaque israélienne contre le Liban, l'été 2006, et qui ne semble se concentrer que sur le dossier du nucléaire iranien, a averti timidement Pyongyang, comme s'il n'y avait aucune urgence. Pour être soupçonné seulement d'enrichir l'uranium, sans aucune preuve, l'Iran subit, depuis plusieurs mois, des pressions de toutes parts, dans lesquelles se sont engouffrées les adeptes de plus en plus dynamiques de la contestable théorie « du choc des civilisations ». Personne à Washington, à Bruxelles ou à Londres ne veut entendre parler d'une bombe atomique « islamique ». Même si aucun responsable n'ose le dire ouvertement. Et voilà qu'arrive la bombe « communiste ». Fidèle au stalinisme, le régime de la Corée du Nord est l'un des plus fermés du monde, célèbre par ses violations des droits humains. Autant dire que c'est la panique chez ceux qui avaient tourné un peu trop vite la page de la guerre froide. La Russie, voisin de la Corée du Nord, recolle ses morceaux et est prise par la tentation de rassembler les tentacules de l'Empire. Ce pays possède 8200 têtes nucléaires actives et a, depuis 1945, procédé à 715 essais atomiques. Cet arsenal de destruction massive ne choque personne. Autant que les 1032 essais nucléaires américains ou les 210 essais français. Il y a comme une hypocrisie générale qui arrange tout le monde. Le gouvernement de George W. Bush aide l'Inde à se doter de programme nucléaire et mène une offensive diplomatique sans relâche contre l'Iran et la Corée du Nord. L'Europe, qui ne parle pas d'une seule voix, en fait de même pour ne pas perdre la face. Le Japon, seul pays à avoir connu les horreurs des bombes atomiques, est pris par la tentation de rompre avec la culture pacifiste et veut se doter d'une réelle force de frappe militaire. La Chine et la Corée du Sud développent, dans la discrétion, des programmes nucléaires. Alors pourquoi pas la Corée du Nord ? Pourquoi pas l'Iran, la Syrie, l'Algérie, l'Afrique du Sud, l'Egypte, le Maroc, le Brésil ? La communauté internationale, qui ignore la lente disparition de la nation irakienne, la guerre silencieuse menée en Tchétchénie et la pauvreté rampante en Afrique, ne peut plus être crédible si elle persiste à adopter la règle de deux poids deux mesures. C'est clair. Même condamnable, l'action de la Corée du Nord a le mérite de mettre à nu les injustices du « monde civilisé ». Des injustices qui nourrissent tous les extrémismes.