Il ne fallait pas lire dans le marc de café à la fin de l'année dernière pour imaginer que le président de la République française, François Hollande, et son Premier ministre, Manuel Valls, ne pourraient pas aller jusqu'au bout de la révision constitutionnelle promise, faute de majorité pour y parvenir. Hier, François Hollande a jeté l'éponge, renonçant à vouloir inscrire dans la Constitution la déchéance de la nationalité pour les terroristes binationaux même nés français. Du coup, le chef de l'Etat cale en rase campagne (présidentielle) et abandonne aussi l'article 1er de la révision qui aurait inscrit dans le marbre constitutionnel l'état d'urgence. Sur cet aspect, tous les juristes s'accordaient à dire que cela ne servait à rien et que la loi permettant d'invoquer l'état d'urgence votée en 1955 (pendant la Guerre d'Algérie) se suffisait à elle-même. C'est dans les rangs du Parti socialiste qu'on a respiré devant cette bonne nouvelle. Nombre de députés socialistes, d'ailleurs main dans la main avec plusieurs députés de droite, avaient refusé de contenir la déchéance aux seuls terroristes binationaux, l'élargissant aux Français accusés de terrorisme. En effet, un terroriste français est-il moins coupable qu'un étranger ? Que dire alors du Français Salah Abdeslam, arrêté en Belgique et suspecté des attentats de novembre à Paris ? Les députés ont donc voté ces amendements qui étendaient la perte de nationalité à tous les terroristes, français ou binationaux. Le Sénat, à majorité de droite, n'en a pas voulu ainsi et est revenu à la mouture initiale que l'Assemblée nationale de gauche n'aurait jamais acceptée. Ainsi, le vote des 3/5e des parlementaires réunis en congrès était devenu impossible, d'où la volte-face présidentielle qui a mis fin à un débat qui a occupé la scène depuis le 13 novembre 2015. Le président François Hollande a couvert ses troupes rebelles en mettant la responsabilité sur la droite : «Je constate qu'une partie de l'opposition est hostile à toute révision constitutionnelle, qu'elle porte sur l'état d'urgence ou même l'indépendance de la magistrature. Je déplore profondément cette attitude, car nous devons tout faire dans les circonstances que nous connaissons pour limiter les divisions et écarter les surenchères.» Ce qui lui a valu une réponse du président du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy : «Nous disons très simplement, M. Hollande si vous voulez la déchéance de la nationalité nous la voulons avec vous, nous la voterons, mais ne créez pas des apatrides, appliquez la déchéance de la nationalité pour les binationaux.» Sarkozy s'est ainsi rangé, hier, du côté du Sénat, lui qui avait pris le soin de pousser, en février, les députés de son camp à l'Assemblée nationale pour qu'ils votent la loi modifiée et aseptisée… Ce que confirme Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale : «Nous avons réussi à rassembler une majorité des 3/5e à l'Assemblée. Ici, nous avons su dépasser les clivages politiques ; ce que le Sénat n'a pas été capable de faire.» Prochain épisode, la loi travail ? Pour le socialiste Christian Paul — qui était contre la disposition voulue par le président Hollande mais inspirée par la droite —, cela suffit : «Quatre mois d'une infernale controverse : un fiasco politique qui a abîmé nos principes. Il était plus que temps de tourner la page», sachant que l'Exécutif a créé «une fêlure irréversible à gauche». Ainsi, pour le secrétaire national du Parti écologiste, David Cormand, c'est une «défaite pour le président de la République et le Premier ministre. Victoire pour la République et ses grandes valeurs». A gauche de la gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui a déjà annoncé sa candidature à la présidentielle de 2017, déclare : «La déchéance est une honte», remerciant «le chef de l'Etat d'avoir abandonné son idée». A un an des échéances du renouvellement politique du printemps 2017 (présidentielle et législatives), Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, se veut offensif, estimant que le recul présidentiel est «un échec cinglant d'un pouvoir de plus en plus isolé». Déjà il lorgne sur un prochain recul, celui sur la loi Travail contre laquelle une journée de grève et d'action syndicale s'annonce pour aujourd'hui. Là aussi le gouvernement de gauche tente de faire passer une réforme plutôt de droite, avec les écueils que cela représente.