Autrefois, sur les terrasses d'Alger, les fêtes de mariage étaient célébrées avec faste. A présent, la musique chaâbie ne semble plus faire recette. Elle est reléguée au profit d'un patchwork de chansonnettes débitées à fort décibels. « Les alladjia prenaient le relais des masamâate pour encenser avec de la belle musique chaâbie ou andalouse les instants nocturnes des convives qui venaient partager l'heureux événement », nous dit une vieille Kasbadjie qui se remémore la douce souvenance d'un passé chargé d'osmose. Certes, tout le monde, ajoute-t-elle, a le droit d'être heureux, a fortiori lorsqu'il s'agit de partager l'atmosphère des épousailles, mais « je ne peux ne pas relever ces dernières années, ajoute-t-elle, une certaine gêne causée au voisinage ». « L'agression acoustique et la nuisance sonore ont gagné nos mariages », renchérit une septuagénaire, qui laisse deviner le déplaisir. Une impression qui nous fait quelque peu revisiter la maxime de La Rochefoucauld : « Il y a de bons mariages, mais il n'y en a point de délicieux. » Et Khalti Baya de prendre le relais : « Où sont passées les épigones de Fadhila Dziria, Meriem Fakkaï et Seloua dont les belles paroles étaient accompagnées d'une musique raffinée ? » Des propos et des avis qui ne ménagent guère l'air du temps présent ni celui des mœurs dans lesquelles elles ne se reconnaissent plus. Signe des temps ! Car les wedding party préfèrent faire dans l'expéditif avec un patchwork de raï et de chansonnettes sportives qui ont le vent en poupe. Emmitouflée dans son seroual, une vieille femme, au sortir d'une salle des fêtes sur les hauteurs d'Alger, commente la fête. « A présent, dit-elle, nous assistons à des fêtes de mariage qui sont devenues des occasions pour des goinfres sans goût (...). » La gent féminine donne l'impression de décompresser dans une sorte de délire où la musique est non seulement devenue cacophonique, mais dévalorisante. Au rythme des chebs et chabète Même constat pour les amateurs des musiques chaâbie et andalouse, genres musicaux qui semblent « ne pas faire bonne recette aujourd'hui », nous dit ammi Dahmane qui nous égrène les belles soirées enchanteresses lors des fêtes de henné et de la nuit de noces sur les terrasses des demeures de La Casbah. En effet, les belles « volutes » du chaâbi sont troquées, dit-il, avec un haut-le-cœur, contre le tohu-bohu du disc-jockey et la musique raï qui emplit, désormais, l'espace des terrasses algéroises lors des fêtes de mariage. Il secoue sa mémoire pour nous évoquer les moments d'un temps où les invités attendaient avec une certaine solennité l'orchestre du Cardinal Hadj M'hamed El Anqa, de Dahmane Benachour, Hadj Mahfoud, Amar El Aâchab ou de leurs dignes héritiers. « Où sont les jeunes qui savent apprécier les khazna el kbira et sghira du Cardinal ou les noubate dans les différents tbouê zyriabiens des maîtres andalous qui défilaient le long de l'été dans les terrasses et les patios de demeures ? », s'interroge-t-il d'un air amer. Le châabi, lui, est supplanté par la déferlante raïmania. Il est vrai que le passé a peine à perpétuer le legs musical duquel se nourrissait la génération des Guerrouabi, Koubi, Chaou, Bourdib et autres Aziouez et Tamache. Une génération qui semble subir le caractère invasif d'une certaine culture. C'est dans l'ordre du conflit des générations, sommes-nous tenus de dire. En effet, la nouvelle vague déferlante « ne s'accommode plus de la rzana », lance un vieux, qui manifeste son désaccord sur la nouvelle vague qui tient à s'inscrire dans l'air de son temps. Au point de bousculer les bonnes convenances et les bonnes manières qu'elle considère comme obsolètes, donc à mettre au rancart au profit du boucan. Un exutoire qui lui permet de décompresser. « Pourvu qu'il y ait des twayich et du houl », nous lance Samir qui s'attelle à mettre en place la sono de sa machine où le must des chebs et chabate est repris en chœur lors d'une soirée bruyante. Même le répertoire mouloudéen, qui n'a rien à voir avec la circonstance, donne matière à jubiler. Des youyous fusent d'une terrasse et se rendent complices du tonnerre de bruits discordants générés par la sono et le mouvement frétillant des jeunes en mal de repères (?).Une génération qui se cherche peut-être. En quête de ce qui l'emballe. Et peu importe ce que jasent les uns et les autres. L'essentiel pour elle, c'est de faire la fête.