Affligeante ! L'image du président de la République, que le Premier ministre français a pris plaisir à diffuser, a mis dans la gêne tout un pays. Voir ainsi un homme diminué traité de la sorte par son entourage, qui l'expose à chaque visite d'un officiel étranger, est tout simplement abominable. On ne sait plus si on doit pleurer pour lui ou pour un pays devenant l'objet de campagnes de dénigrement et de moquerie. La coupe de l'absurde est pleine, ne nous reste-t-il que les mouchoirs pour en pleurer ? Faut-il aller au secours d'un homme malade pris en otage d'intérêts et de calculs de pouvoir, ou bien sauver le pays qui prend l'eau de toutes parts ? L'un ne va pas sans l'autre. Verrouillage Devant cette image insoutenable qui vaut mille diagnostics de médecins, comment peut-on encore croire à la capacité du Président à exercer ses fonctions, lui qui ne s'adresse plus au peuple algérien, qui n'apparaît que quand l'obligation de recevoir un étranger l'exige ? A chacune de ses rares apparitions, des membres de la classe politique clament l'«état d'impeachment» ; les internautes se partagent les images en faisant différents commentaires d'affliction, de honte même. Les peuples puisent parfois leur force dans l'image que renvoient leurs dirigeants. Est-ce que l'entourage de Bouteflika peut s'arrêter un moment et imaginer le sentiment éprouvé par le peuple algérien devant une telle manifestation d'exploitation d'un homme et d'atteinte à la fonction présidentielle ? L'appel à l'application de l'article 88 — devenu presque le leitmotiv de nombreuses personnalités politiques depuis l'accident vasculaire cérébral du Président — reste lettre morte. Entre ceux clamant la bonne santé du Président et ceux affirmant son incapacité à diriger, pro et adversaires de Bouteflika échangent des «amabilités» pendant que les Algériens retiennent leur souffle et accusent le coup à chaque visite d'un officiel étranger et qu'ils sont devant cette image d'impuissance de l'Etat. L'article 88, qui n'a pas été amendé dans la nouvelle Constitution, énonce pourtant que «lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel (CC) se réunit de plein droit et, après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous les moyens appropriés, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement». Ainsi dit la Loi fondamentale, mais elle est quasiment inapplicable. «Seul le Conseil constitutionnel peut s'autosaisir, personne d'autre ne peut le saisir… et il ne peut prendre de décision que si tous ses membres l'approuvent», précise la constitutionnaliste Fatiha Benabou. La spécialiste du droit constitutionnel estime que l'article 88 est «complètement verrouillé». «C'est un article impossible à mettre en œuvre. C'est fait exprès et bien étudié, de manière à ce que cet article ne soit pas appliqué», dit-elle en expliquant que trois des membres du Conseil constitutionnel, dont son président, sont nommés par le chef de l'Etat. «En plus du fait que personne ne peut saisir le CC sur cette question d'empêchement, aucune décision à ce sujet au sein de cette institution ne peut être prise sans le consentement de tous ses membres. Il suffit qu'un des neuf membres soit contre pour qu'il n'y ait pas de décision», indique Mme Benabou, en notant qu'il s'agit là d'un verrouillage dont le but est d'éviter «un coup d'Etat médical». En l'absence de communication claire sur l'état de santé de Bouteflika, les Algériens continueront à recevoir, comme des gifles, le mépris venant d'en haut et les moqueries émanant d'ailleurs.