La nouvelle hospitalisation du président Bouteflika en France remet le débat sur la vacance du pouvoir au-devant de la scène. Son déplacement, en catimini, dans une clinique de Grenoble, renforce à nouveau les convictions des partis de l'opposition qui réitèrent leur demande pour l'application de l'article 88 de la Constitution. Mais la mise en œuvre de cette disposition bute sur de multiples contraintes, dont le refus du pouvoir de céder sur cette demande, pourtant légale. L'ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, vient, en effet, d'expliquer l'impossibilité d'appliquer cette disposition. «L'article 88 ne contient pas d'instrument pratique ni la force pour imposer son application. Pratiquement, politiquement et idéologiquement, il n'y a pas d'article de loi qui s'appelle article 88», a-t-il déclaré à partir d'El Oued, où il était l'invité, samedi dernier, d'une association. Cette vision est partagée par Fatiha Benabbou, professeur de droit et spécialiste de la Constitution : «Je l'ai dit et redit : l'article 88 de la Constitution est verrouillé par des limites juridiques. Cette disposition ne peut pas être appliquée tant que le Conseil constitutionnel ne s'est pas émancipé.» Rappelant que la même disposition est prévue dans la majorité des Constitutions algériennes, Mme Benabbou répond à ceux qui considèrent la mise en œuvre de l'article 88 comme un coup d'Etat : «Cette disposition n'a pas pour but de provoquer un coup d'Etat militaire ou médical. Elle vise essentiellement à assurer le principe de la continuité de l'Etat et du service public. La Présidence est une institution qui doit être assumée par une personne. C'est cette personne qui assure la continuité du service. Dans le cas où cette personne n'est pas en mesure de le faire, pour cause de maladie ou autre, il faut désigner un intérimaire.» Selon elle, l'article 88 de la Constitution prévoit deux cas d'empêchement. «Medelci est un fonctionnaire de Bouteflika» «Le premier cas est temporaire et le second est définitif. La disposition limite le premier cas à 45 jours. Si, au bout de 45 jours, le président n'est toujours pas en mesure d'assumer ses fonctions, il y aura démission de plein droit», ajoute-t-elle. Le verrouillage de cet article réside, selon elle, dans le Conseil constitutionnel. «Cette instance doit constater l'état d'empêchement et le déclarer à l'unanimité. Si un membre du Conseil constitutionnel s'y oppose, la procédure tombe à l'eau. Et quand on sait que sur les neuf membres de cette institution, trois sont nommés par le Président parmi ses fidèles et ses proches, on comprendra qu'il est impossible d'avoir une décision unanime du Conseil constitutionnel», explique Mme Benabbou. En dépit de ces contraintes, les partis politiques favorables à l'application de cette disposition constitutionnelle ne baissent pas les bras ; ils refusent de s'attarder sur les détails juridiques. «Nul ne peut nier, aujourd'hui, l'incapacité de Bouteflika à assumer ses fonctions. Ceci s'appelle ‘empêchement' et l'article 88 de la Constitution répond à cette exigence. Bouteflika est impotent et ne peut pas traiter des dossiers engageant la nation ou les questions relevant de la souveraineté du pays, au risque de mettre en péril les secrets de l'Etat», affirme Athmane Mazouz, chargé de communication au RCD. Selon lui, «rester au milieu du gué par calcul politique relève de l'irresponsabilité et de l'allergie aux lois de la République». Sur le même ton, le président du parti Jil Jadid, Soufiane Djilali, estime qu'«il y a une véritable vacance du pouvoir». «Le dernier déplacement du chef de l'Etat en France, qui n'a pas été annoncé officiellement, suppose qu'on cache des choses. Les députés doivent se saisir de cette question», dit-il. Selon lui, «il n'y a pas de cas de jurisprudence en matière d'application de l'article 88 de la Constitution». «Le Président doit démissionner pour préserver son honneur et celui de l'Algérie. Medelci est un fonctionnaire de Bouteflika et il n'a pas l'autonomie qui lui permet d'appliquer cet article», martèle-t-il.