Ces mêmes temps où le ministre de la Communication et le directeur général de l'Entreprise de radiodiffusion sonore (ENRS) résument les seuls développements possibles attendus en Algérie du média radio à l'extension de filiales uniformisées dites « radios locales », à l'équipement en numérique et au lancement d'un canal d'action extérieure, dans le monde arabe sont nées déjà à profusion des radios privées. Vu de l'Egypte à la Syrie, du Liban à la Jordanie et à la Palestine « le modèle algérien » de fermeture de l'audiovisuel est totalement en décalage. Non pas que forcément en ces pays-là où s'érigent des entreprises de droit privé la liberté de communication s'est déjà imposée, mais leurs sociétés expérimentent – dans un contexte commun de libéralisation débridée – d'autres usages de la radio après une longue main mise autoritaire des gouvernants. Dans ces sociétés s'activent de nouveaux entrepreneurs parfois nationaux mais plus souvent vitrines filialisées de groupes de communication internationaux. Au sein du meilleur et du pire que leurs nouvelles offres proposent il y a d'abord leurs défis de modernité, essentiellement d'apporter d'autres façons – voire art – de faire de la radio en dehors des canons rigides d'un office étatique. Mais il y a aussi une nécessité que les élites dominantes veulent souvent occulter : l'exclusion de la lecture de la presse écrite de larges franges de la société pour cause de sous développement en tous sens du terme. Le rapport PNUD des Nations unies de 2005 sur le développement humain dans le monde arabe en a apporté des signes éloquents : 53 copies de journaux sont publiées quotidiennement dans cet espace, contre 258 en pays développés. De toutes tailles, les radios privées d'Orient ont été boostées par les développements technologiques d'enregistrement et de diffusion, et leur baisse de coûts, et la multiplication des télés satellitaires ciblant la région, qui paradoxalement ne leur font nullement de l'ombre ; parce que nombre de leurs éditeurs ont focalisé leurs activités sur la proximité et l'extrême ubiquité du média. L'Internet leur a aussi ouvert des auditoires et des niches de marché hors frontières. Une étude collective intitulée La restructuration de l'espace radiophonique arabe propose un diagnostic édifiant des nouvelles réalités du domaine. La Jordanie en est à la pointe des réformes. Depuis février 1999, au lendemain du décès du roi Hussein, « En restructurant le champ audiovisuel, notent les auteurs, le régime du roi Abdallah II poursuit deux objectifs essentiels. Cette restructuration obéit d'abord à des exigences économiques. Il s'agit en premier lieu d'ouvrir ce secteur aux capitaux privés nationaux et étrangers, dans le cadre général de la politique néolibérale défendue par Amman. Désormais, les acteurs privés sont autorisés à investir le marché de l'information et à bénéficier de la manne publicitaire qui en découle. La restructuration permet ensuite une redynamisation d'une scène médiatique morne, en perte d'audience et mise à mal par la concurrence d'El Djazira et d'autres chaînes étrangères. » Les auteurs notent aussi qu'en appui à cette ouverture de l'audiovisuel les Etats-Unis ont fourni, en 2005, une aide de cinq millions de dollars. Deux pays de la région se sont illustrés dans l'effort de conception et de promulgation de textes de régulation du secteur de l'audiovisuel : le Liban (1994) et la Jordanie (2002), mettant fin à des processus de démonopolisation de fait. Au Liban la loi n° 382, publiée le 4 novembre 1994, a porté sur les médias radio et télévision. Au termes de cette loi toute programmation et diffusion d'une radio ou d'une télé à partir du territoire national est soumise à obtention d'une licence par « décret du conseil des ministres après consultation du Conseil national de l'audiovisuel (CNA) ». Le CNA est composé à parité de membres choisis par le Gouvernement et l'Assemblée nationale. On le voit, l'ouverture libanaise balise solidement « l'ouverture contrôlée » : le CNA a voix au chapitre à « titre consultatif ». Une trentaine de chaînes de radios ont pu émettre depuis. Autre fait malgré tout positif des nouvelles réalités de l'espace radiophonique libanais : le CNA par le biais de ses rapports annuels pointe librement les dérives observées dans le processus. Dans celui publié en novembre 2005, soulignant les dérives de la campagne pour les législatives de juin, le rapport souligne que le contexte a « transformé les médias en outils confessionnels et politiques. Partialité, inégalité dans le temps affecté aux différentes listes en compétition, propagande pure et simple pour la liste soutenue par le média et son propriétaire, atteintes au pays voisin (Syrie), dénigrement de listes concurrentes, incitation à la haine confessionnelle, telles ont été les pratiques courantes des radios et des télévisions libanaises lors de ces élections. » Les auteurs de l'ouvrage de l'Institut Panos relèvent sur le parcours d'une décennie de leurs activités d'autres problèmes posés par les radios commerciales refusant le respect de leur cahier des charges pour assurer leur rentabilité. Adossées à des équipes très restreintes, « n'employant généralement que des jeunes non diplômés, ces radios sont nombreuses et se contentent pour toute programmation de diffuser un hit-parade des chansons et des news people. Aucune loi n'a été adoptée pour réglementer le marché de la publicité. Depuis la promulgation de la loi n°71 de 2002 sur les médias audiovisuels, une vingtaine de radios privées sont en activité en Jordanie. Les jeux des pouvoirs publics dans le laisser-faire laisser passer actuellement en vigueur y a été précédé des radios étrangères autorisées d'émettre sur le territoire avant la loi : la britannique BBC, la française Radio Monte Carlo, l'américaine Sawa et la saoudienne MBC. Le dispositif de régulation jordanien tient d'une demande de licence d'émettre déposée auprès de la Commission de l'audiovisuel (CA). En cas de refus de la demande la loi n'oblige pas la Commission à justifier sa décision. Même si la loi de 2002 dote la Commission de l'audiovisuel des pompeux attributs « autonomie administrative et financière », l'instance est dépendante du ministère de l'Information et n'a que voix consultative dans la cooptation des entrepreneurs du secteur. Comme à l'examen des récents frémissements d'ouverture au Maroc et en Tunisie, on peut partager le point de vue que « la réorganisation de l'espace radiophonique arabe, loin de répondre à la demande de la société civile en faveur de la démocratisation des médias, est plutôt une décision d'en haut ». Reste à imaginer sans trop tarder d'autres voies ouvrant droit à la liberté de communiquer en réduisant le poids du formatage du « tout marché », en particulier via les radios associatives. * La restructuration de l'espace radiophonique arabe : Palestine, Liban, Syrie, Jordanie et Egypte. Institut Panos Paris, 2006.