L'objet de notre article n'est pas de prendre position ou de disséquer les différents litiges. La presse d'information les a assez bien répercutés. Nous nous contenterons de porter un regard critique sur le fonctionnement institutionnel de ces établissements à travers la réglementation et de débusquer les éléments à l'origine des situations conflictuelles. La raison d'être d'un dispositif réglementaire est d'assurer un cadre propice à la communion des acteurs et à l'harmonisation de leurs pratiques. L'objectif étant d'atteindre l'idéal partagé par tous les éducateurs : celui du plein épanouissement des enfants dont ils ont la charge. Une évidence saute aux yeux : les textes régissant le fonctionnement de nos établissements scolaires sont dépassés. Dommage d'ailleurs que leurs aspects positifs car ils en renferment n'aient pas été bien appliqués par le passé. Cela aurait servi d'expérience et de base de travail pour l'élaboration des textes en préparation. Autre constat regrettable : en Algérie, l'accumulation de l'expérience au sens critique du terme — cède souvent le pas au changement brusque, sans le préalable de l'évaluation prospective. Qu'y a-t-il donc de négatif dans la réglementation actuelle pour que des conflits surgissent ici et là ? Les démons du centralisme Pour comprendre le fonctionnement du système scolaire algérien, il suffit de lorgner sur celui de l'ancienne puissance colonisatrice. Le système éducatif français a été conçu dans une logique descendante, où le pouvoir de l'administratif est presque sans partage. A l'époque de Napoléon et par la suite, ses décideurs ont copié sur le modèle militaire jusqu'aux dénominations (chef, inspecteur, censeur, surveillant...) La logique de l'ordre venu d'en haut a transformé les établissements scolaires en casernes où ne manquent que la tenue, les galons et les arrêts de rigueur. Ces attributs de « la grande muette » sont remplacés par les avancements et les mutations ou autres sanctions prises sur rapport discrétionnaire du chef d'établissement. Les textes officiels ne consacrent-ils pas la notion de grades dans la hiérarchie scolaire ? Avec le temps, le combat militant des pédagogues progressistes a réussi à décrocher des espaces de liberté dans la carapace du « vieux mammouth ». Dans le sillage de Mai 1968, les enseignants seront sollicités de même les élèves et les parents. C'est la mode des conseils, ces structures qui règlent la marche de l'établissement (le conseil d'administration puis d'orientation et de gestion, de classe, de discipline, etc.) On installe des commissions paritaires qui font miroiter aux personnels subalternes leur participation via leurs délégués à l'obtention des fameux grades. Mais tenace et insidieuse est la volonté de la toute-puissante administration. La tutelle centralisatrice, émanation du pouvoir politique — ne se laissera pas dépouiller de son pouvoir. Elle fera en sorte de verrouiller le jeu. Le président de tous ces conseils — y compris de l'association sportive et culturelle — n'est autre que le chef d'établissement. Il est aussi ordonnateur du budget alloué par l'Etat. C'est comme si en démocratie le président de la République est en même temps titulaire de tous les fauteuils ministériels. Quelle est donc cette personne apte à gérer dans la sérénité une telle situation ? Face à ce monopole de la parole et de la décision, les enseignants ont essayé de s'organiser afin de peser sur les décisions de ces conseils. En France, grâce à leur conscience professionnelle et à leur engagement, les collectifs d'enseignants ont pu opérer des avancées notables dans la démocratisation des établissements scolaires. Ils ont bénéficié de l'admirable travail de conscientisation des pionniers de l'école moderne. Ces derniers ont, dès la fin du XIXe siècle, dénoncé la chape de plomb de l'administration. Ils est utile de signaler que la hiérarchie scolaire n'est que prolongement du pouvoir politique. Jusqu'à la loi sur la séparation du religieux et du politique en 1905, c'était l'Eglise qui avalisait les postes et nommait les enseignants et les administratifs. Dans certaines dictatures, l'administration scolaire a servi (elle sert toujours) de relais aux différents services de sécurité. Elle épiait les mouvements et les dires des enseignants opposés au régime. Nous gardons le souvenir des heures sombres du parti unique où de simples plantons dictaient la loi dans nos établissements scolaires. Ils avaient la casquette d'apparatchik. Bon nombre d'entre eux ont grimpé l'échelle des grades. En Europe, cette situation vécue, l'institution éducative a relativement pris son autonomie idéologique par rapport au pouvoir politique. Tout au moins concernant les promotions aux postes de responsabilité et le fonctionnement des établissements. De nos jours, dans les vraies démocraties, la vie scolaire engage aussi bien l'enthousiasme des élèves que l'abnégation des administratifs, des enseignants et des parents. Avant d'être responsable, le directeur est avant tout le collègue au sein d'une équipe éducative. En plus de sa longue expérience du terrain, il est choisi pour ses qualités intellectuelles et humaines. En Espagne, le proviseur de lycée est élu par ses collègues enseignants. Il est l'élu de l'équipe et dispose du capital confiance indispensable à l'accomplissement de sa mission. Le poste n'est pas un privilège encore moins une faveur ou un titre servant à gonfler son ego. L'avantage du modèle espagnol réside dans la crédibilité d'une élection basée sur l'intérêt commun. Il dispense la tutelle centrale de la corvée de ces promotions rituelles, souvent frappées de suspicion : népotisme, clanisme, favoritisme en tous genres. Dans ces pays, l'école y est vécue en tant qu'institution consensuelle. La collégialité et le mode de fonctionnement horizontal prennent le pas. A titre d'exemple, les frictions et les tensions entre l'administration et les enseignants ont pratiquement disparu du paysage scolaire français. Les médias n'ont jamais fait état d'une grève d'enseignants exigeant le départ de leur directeur. Encore moins de directeurs braqués contre leur inspecteur d'académie (équivalent de directeur de l'éducation). Les chefs d'établissement n'ont plus de pouvoir absolu. Ils sont tenus de le partager dans une logique de partenariat et d'ouverture. La démocratie participative dite de proximité se met en marche. Elle brise les chaînes des règlements qui ont longtemps permis l'oppression et l'arbitraire. Le cas de Célestin Freinet est des plus révélateurs de cette politique de l'exclusion. Brillant normalien et pédagogue de talent, son œuvre a défrayé la chronique pendant la première moitié du XXe siècle. Il a connu les pires vexations administratives pour son courage et son refus de courber l'échine. Il ne s'est pas contenté de lutter sur le front syndical, il a déployé son génie dans la pratique novatrice. L'histoire lui a donné raison. Ses idées et sa vision de la chose scolaire irriguent la pédagogie moderne. Les orientations, les directives et les instructions du ministère français s'en inspirent à profusion. Certes le malaise scolaire est toujours présent dans la patrie de Voltaire. La cohabitation administration/enseignants ne figure pas dans la liste des causes répertoriées. Ce malaise n'est pas arrivé à déstabiliser la cohésion des établissements. La fièvre des débats contradictoires monte. Elle touche aux choix stratégiques en matière de méthodes, de contenus des programmes, d'évaluation, de carte scolaire. Sur la scène publique, dans les salles de classe au sein même des syndicats (et oui !) l'heure est au bilan pédagogique, aux perspectives, aux comparaisons avec l'étranger. Les intellectuels, les scientifiques de renom mettent la main à la pâte en dehors de toute chapelle politique. N'est-ce pas là un début d'aboutissement du combat centenaire mené par des éducatrices et des éducateurs habités par la passion de leur métier. La citadelle du centralisme vacille et laisse passer par ses brèches ouvertes le vent du renouveau. Le chemin ne s'arrête pas là. Et le combat des idées continuera jusqu'à créer au sein de l'école, du collège et du lycée toutes les conditions nécessaires à la matérialisation de ce noble concept égalitaire — mais point utopique — : la réussite pour tous. C'est cela la démocratie scolaire, cet idéal jalousement caressé par des bâtisseurs de l'école républicaine depuis quelques siècles déjà. Le lecteur aura compris que l'article a contourné le malaise scolaire qui sévit en Algérie. Et si l'exemple étranger pouvait nous servir de miroir. Seulement, faisons en sorte que notre regard ne soit pas déformé. Un risque que nous pouvons éviter en affichant une bonne capacité d'observation et de discernement. Le succès de la réforme en dépend.