Après la consécration officielle du multipartisme et du pluralisme, conséquence directe des événements du 5 Octobre 1988, l'émergence d'une presse indépendante a entraîné l'apparition de quelques titres régionaux dans un esprit de servir une information de proximité, censée relayer les préoccupations du citoyen négligées durant l'ère du parti unique. Cette éclosion a été constatée à l'est du pays, précisément à Constantine, ville de tradition journalistique d'où sont issus des journalistes de renom dont certains sont éditeurs de grands journaux. C'est à partir de 1990 que des journaux régionaux voient le jour. Les Nouvelles de l'Est de Boubakeur Hamidechi était parmi les premiers titres de cette presse pionnière. Le Temps (constantinois) des frères Merdaci était aussi de la même trempe, ambitieuse est crédible grâce à la notoriété de ses initiateurs. Entre quotidiens et hebdomadaires, la ville des Ponts a vu la naissance d'au moins sept titres de presse entre 1990 et 1995. Et il n'était pas question exclusivement de l'information générale. Une presse spécialisée a aussi émergé, dont l'hebdomadaire culturel El Djoussour ou encore El Gantra de Hamid Ali Bouacida, premier journal satirique à l'Est. Le succès de cette presse à la disposition du citoyen, se voulant le porte-drapeau de ses aspirations, s'est révélé éphémère. A moyen terme, elle sera confrontée à l'épreuve du terrain. Faute d'adhésion du lectorat, elle est acculée par les contraintes financières. Le coup de grâce lui est asséné par la société d'impression. «Plusieurs titres régionaux ont investi cet espace disponible mais qui, en réalité, a très peu de lectorat», selon plusieurs acteurs du secteur. Des publications se sont lancées dans la bataille sans étude de marché, sans vision claire dans la stratégie, comptant profiter de l'effet de nouveauté qui vraisemblablement n'a pas suivi. Certains titres ont disparu au bout de six mois, laissant une ardoise, parfois assez lourde, auprès de l'imprimeur étatique. Les contentieux financiers ont eu raison de leur existence. Un seul titre privé a tiré son épingle du jeu et est toujours sur les étals depuis 1992. Mais sa survie n'est pas due à sa performance ; il est sous perfusion grâce à la manne publicitaire étatique. Entre-temps, la presse nationale a investi l'ensemble du territoire avec des réseaux de correspondants et de bureaux régionaux. La presse régionale, en berne, finira par connaître une seconde vie sous une autre forme. Elle s'est diluée dans la publication nationale via les pages ou éditions régionales. Pendant une quinzaine d'années, le lecteur de province s'en est accommodé. A partir de 2010, un retour vers cet ancien relais de l'information de proximité est de nouveau observé, mais il viendra d'ailleurs. Constantine, en tant que pôle, sera détrônée. Annaba prendra la suite avec l'apparition de plusieurs titres. La ville qui abrite L'Est Républicain depuis plus d'une décennie favorise l'émergence d'une nuée de publications, dont Le Provincial et Seybouse Times. Mais dans l'une comme dans l'autre ville, le nerf de la guerre fait défaut. La survie des titres, étroitement liée aux rentrées publicitaires, est plus que jamais menacée. «L'existence de la presse régionale est aussi tributaire de la publicité. Et, partant, sa survie devient un préalable, reléguant la question de la liberté d'expression au second rang», affirme Samir, journaliste au quotidien régional El Raya. Après des échanges avec certains éditeurs et membres de la corporation, il en résulte que la liberté de la presse est devenue «une lubie tant la mission d'informer ne peut se faire dans des conditions financières précaires». La presse régionale, acculée par le déséquilibre financier, ne place donc pas la liberté d'informer en haut de ses priorités. Se maintenir sur le marché est sa préoccupation majeure. Assurer le salaire des effectifs et honorer les factures mensuelles d'impression sont devenus son combat. D'ailleurs, certains de ces quotidiens paraissent par intermittence, seulement les jours où il y a quelques encarts publicitaires. Des économies de bouts de chandelle pour ne pas mettre la clé sous le paillasson et, surtout, réduire la facture de la société d'impression qui les oblige à un tirage de 5000 exemplaires au minimum. Un autre moyen de pression et d'affaiblissement, puisque les ventes ne sont pas au rendez-vous. Peut-on donc confirmer l'échec de sa mission ? Selon la vox populi, «les journaux locaux se valent tous parce qu'il n'y a pas de compétition entre eux. Ils sont identiques, ils remplissent des pages entières d'informations puisées sur le Net, que le lecteur peut aller chercher tout seul...»