Acculée par la montée en puissance du web, le rétrécissement du marché publicitaire, la faiblesse du lectorat et la hausse des coûts de production, la presse écrite est loin d'avoir la liberté d'expression comme seul souci à régler. Fondée sur un modèle économique qui ne doit sa viabilité qu'aux recettes publicitaires, elle se trouve fragilisée chaque fois que les relations avec ses annonceurs ne sont pas au beau fixe. Les tarifs du journal étant plus bas que ses coûts de fabrication, les ventes sont réalisées à perte, la différence étant supportée par les recettes publicitaires. Une situation qui ne date pourtant pas d'aujourd'hui. Ahcene Djaballah, enseignant en économie de l'information, relève qu'en «1978, quand le quotidien était vendu à 0,5 da, son coût de revient était de 1,5 à 2 da». 25 ans plus tard, quand il se vendait à 10 da, son coût de revient était entre 15 à 20 da, soit 5 à 10 DA de perdus sur chaque exemplaire produit. Comme dans une économie d'échelle, une augmentation du tirage signifie une baisse du coût unitaire de fabrication. Autrement dit, les pertes varient selon qu'on soit un journal à haut ou bas tirage. «Financièrement, il est très difficile de survivre, surtout que les coûts d'édition et d'impression ont sensiblement augmenté depuis 2000», dira le patron d'un journal nouvellement créé. «A 10 DA, le journal perdait 2 DA sur chaque exemplaire, car son coût de production revenait à 12 da», selon le directeur d'El Watan, Omar Belhouchet. Pour limiter la casse, certains journaux ont augmenté leurs tarifs à 15 DA, ou encore à 20 DA pour d'autres (El Watan, Liberté, El Khabar). Les premières augmentations étaient intervenues en 2011 suite à l'augmentation des prix du papier journal dont les prix à l'international ont connu une hausse de 15%. Une situation qui n'est pas propre à l'Algérie. En France, Le Figaro, Le Monde, ou encore Libération ont tous augmenté leur prix pour faire face à une situation de crise. Survie Bien que produisant un bien immatériel (l'information) et éphémère, les entreprises de presse restent néanmoins des entités commerciales avec des coûts, des charges et des recettes. La fabrication d'un journal répond à des coûts dont certains sont incompressibles (fixes, indépendants du niveau de production). Certains spécialistes de l'économie de la presse les évaluent entre 50% et 60% des coûts. Théoriquement, la structure des coûts pour un quotidien varie entre 15% à 20% pour les frais de rédaction et ceux de l'impression, 10% pour les matières premières, 10% à 20% pour les frais généraux et les coûts d'administration et jusqu'à 25% pour la distribution. En Algérie, selon certains éditeurs, pour un exemplaire de 24 pages à 10 DA, il faut compter plus de 7 DA reversés à l'impression et 2 DA à la distribution. A défaut de compresser les coûts, la survie dépend donc des recettes engrangées ; celles des ventes, d'un côté, et celles de la publicité, de l'autre. «Pour un journal à bas tirage, il est difficile de faire des bénéfices uniquement avec les ventes, la pub est la seule ressource», témoigne un éditeur. Aidés par le secteur économique privé, les journaux tirent pour certains plus de 70% de leurs recettes de la publicité. Mais quand les annonceurs sont publics, c'est plus sélectif pour des raisons politiques. Hamid Grine, ministre de la Communication, a clairement justifié le monopole de l'ANEP (agence nationale de l'édition et la publicité) sur la publicité publique et institutionnelle pour éviter que «des entreprises publiques subissent les attaques des supports qui n'auront pas leur part», dit-il. Cette agence contrôlerait encore plus de 65% du marché publicitaire, selon l'ancien ministre de la Communication, Mohamed Said. Pour autant, 80% de la publicité de l'ANEP vont encore au privé, selon le ministre. Un chiffre qui relève plus de la logique que de l'exploit, car plus de 90% des journaux existants sont privés. Mais le ministre reconnaît implicitement que l'ANEP biaise la donne quand elle maintient en vie des journaux voués à disparaître. «Des journaux dégagent des bénéfices grâce à la pub de l'Etat, alors qu'ils ne sont pas compétitifs», a-t-il déclaré (Echo d'Algérie, 19 juin 2014). Invendus Si la presse doit sa survie à la publicité, c'est que ses ventes au numéro sont très limitées et ne représentent, dans le meilleur des cas, qu'un tiers des recettes. Une situation due notamment à un taux moyen d'invendus élevé (30% du tirage), dépassant même les normes internationales de 15%, selon un ancien ministre. En partie responsable de la situation, un taux de lectorat ne dépassant pas les 50% (selon un sondage conduit en 2012 par Media and Survey). Les journaux arabophones (El Khabar, Echourouk, Ennahar) tirent leur épingle du jeu puisqu'ils enregistrent les plus faibles taux d'invendus et les plus grosses parts de marché du lectorat (entre 19% et 20%). La presse francophone, en tête El Watan, attire quant à elle moins de 10% des lecteurs. Si le développement d'internet et la disponibilité accrue de l'information gratuite peuvent expliquer cette situation, l'importance des invendus s'explique aussi par une faiblesse du réseau de distribution. L'ancien secrétaire d'Etat à la communication, Azeddine Mihoubi, déclarait en 2009 que «le taux de distribution de plusieurs journaux ne dépasse pas 50% de leur tirage». Certains ne quittent même pas l'imprimerie. Pour y remédier, Hamid Grine a annoncé la création d'une entreprise de messagerie de presse, avec la participation de cinq entreprises de presse publique avec pour objectif de faire parvenir au citoyen sur tout le territoire les journaux «dans des délais acceptables». En attendant, et aussi peu viable que puisse être le modèle économique actuel de la presse, c'est le seul qu'elle ait. «Il n'y a malheureusement pas d'autres modèles, à moins d'avoir des tirages exceptionnellement élevés comme certains titres au Japon ou en Allemagne», observe Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Communication. Toutefois, ce modèle «suppose des traditions de lecture, un niveau de conscience élevé et un pouvoir d'achat conséquent, ce qui est loin d'être atteint par les Algériens». Avec ou sans gros tirage, le sentiment que «la rentabilité n'est liée ni à l'audience ni à la diffusion mais déterminée par le degré de soumission à la volonté et aux positions des pouvoirs publics» semble pour le moment l'emporter sur toutes les considérations d'ordre économique.