Manifestations, arrestations, oppression… les journalistes égyptiens sont indignés depuis l'arrestation de deux confrères dans les locaux de leur syndicat. Ce sont des milliers de journalistes, à travers le pays, qui appellent à plus de mobilisation. «Nous avons des droits en tant que journalistes, la loi est claire, il suffit de relire les articles 70 et 71 qui stipulent qu'il est interdit de fouiller le syndicat des journalistes et de ses annexes et membres dans l'enceinte du bâtiment», affirme Mohamed Elferry, journaliste et animateur radio au Caire. «De quel droit les forces de l'ordre font-elles irruption dans cette institution qui a tant donné pour notre pays et même le monde arabe ?» se demande-t-il. Des journalistes égyptiens ont manifesté mardi et mercredi contre l'arrestation de deux de leurs confrères au siège du syndicat des journalistes. Dimanche, lors d'un raid policier sans précédent dans les locaux de leur syndicat, Amro Badr et Mahmoud Saka ont été arrêtés. Ils travaillent pour le site d'information yanair.net. Ils ont été placés lundi en détention provisoire pour 15 jours, accusés d'avoir «incité à manifester» et «appelé au rassemblement et à la chute du régime». Lors de cette manifestation, les journalistes ont réclamé le renvoi du ministre de l'Intérieur, Magdy Abdel Ghaffar. «Gardez la tête haute, vous êtes journalistes !» ; «Le ministère de l'Intérieur, repaire de voyous» ; «Le journaliste n'est pas un criminel» faisaient partie des slogans scandés par les nombreux journalistes ayant répondu à l'appel du syndicat. Arrestations La journaliste Abeer Saadi, ex-membre du syndicat des journalistes et première femme à avoir été élue au poste de vice-présidente du syndicat, a également condamné cette arrestation arbitraire et appelé à la mobilisation de tous les journalistes égyptiens. «Nous devons être fiers de ce que nous avons accompli par le passé, et nous devons faire davantage pour les jeunes générations de journalistes, restez solidaires», a-t-elle écrit sa page facebook. «Ne cédez pas à l'intox, des journalistes ont bel et bien été arrêtés...», assure Marwan Al Baghouti, journaliste et écrivain égyptien. «Le régime réprime les journalistes qui le dérangent et dérangent ses amis occidentaux, c'est le retour en arrière. Plus la lutte de la liberté de la presse s'intensifie, plus le régime s'acharne», explique-t-il. La majorité des médias égyptiens se sont mobilisés pour cette affaire, sauf les médias pro-gouvernement, c'est «logique que ça se répète», pense Ala, jeune reporter à la radio qui s'inquiète du peu de réaction de la classe politique. «Ce qui est terrifiant, ce sont les intellectuels et les politiques dont les réactions sont timides». Pour rappel, le bureau du procureur général a décidé de garder le silence sur cette affaire car elle porte «des accusations relatives à la sécurité du pays», a-t-il indiqué dans un communiqué. Selon le texte, l'enquête montre «qu'ils s'étaient mis d'accord avec le président de leur syndicat pour se réfugier au siège dudit syndicat et que le président leur avait promis de mener une médiation avec les autorités pour faire annuler la décision de leur arrestation». Si ces informations s'avéraient vraies, cela constituerait un crime sanctionné par le code pénal. Toujours selon le communiqué, «l'accord du président du syndicat concernant le sit-in constitue également un crime passible de sanctions pénales». Démenti Le bureau du procureur général a par ailleurs démenti les accusations portées contre lui par le syndicat qui affirme que la perquisition ne s'est pas faite dans les règles. Le journal Al Ahram, citant un responsable du syndicat, a rapporté que 50 officiers de police étaient entrés dans le bâtiment, ce que conteste le ministère de l'Intérieur. «Le syndicat n'a pas été pris d'assaut. Un nombre limité d'officiers, pas plus de quatre ou cinq, sont entrés et les ont arrêtés (les journalistes)», a dit sur la chaîne CBC le porte-parole du ministère de l'Intérieur. Mahmoud Kamel, également membre du conseil du syndicat des journalistes, a précisé qu'un mandat d'arrêt à l'encontre des deux journalistes avait été émis il y a une semaine et que le syndicat était en négociations avec le ministère de l'Intérieur à ce sujet. «Ce qui s'est passé est sans précédent. Aucun président, aucun Premier ministre, aucun ministre de l'Intérieur n'a jamais osé faire une telle chose», a poursuivi Mahmoud Kamel. Pour Farrah El Richawi, politologue et militante égyptienne, les autorités égyptiennes «n'ont jamais cessé leur oppression» à l'égard des journalistes et des intellectuels égyptiens. «Comment Al Sissi a osé diriger ses bâtons contre des personnes indignées par sa décision de restituer à l'Arabie Saoudite Tiran et Sanafir (deux îles de la mer Rouge) ?» se demande-t-elle. Il faut savoir que Le Caire a renoncé, début avril, à Tiran et Sanafir au profit de l'Arabie Saoudite. Le roi d'Arabie Saoudite, Salman Ben Abdelaziz Al Saoud, a signé un accord en ce sens lors de sa visite au Caire. «Cette décision est à l'origine de toute cette contestation justifiée», explique Farrah El Richawi. L'Egypte et l'Arabie Saoudite se disputaient ces îles depuis plusieurs décennies. Les négociations sur la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays ont duré six ans. Cependant, l'accord en question devra encore être approuvé par le Parlement égyptien.