Les chefs d'établissement scolaires et les parents d'élèves parlent deux langues différentes quand il s'agit de discuter de la « gratuité » des manuels. Le malaise vient du fait que les parents et les directeurs n'arrivent pas à trouver à ce propos un terrain d'entente. Ainsi, au moment où les parents exigent le livre scolaire « gratuitement », les directeurs affirment qu'il s'agit uniquement de « prêt ». S'agit-il d'un malentendu ? Curieusement, les parents et les chefs d'établissement se réfèrent tous les deux à la même source : le ministère de l'Education nationale. Pour défendre leur « cause », les parents opposent les différentes déclarations faites par Boubekeur Benbouzid. Nous sommes le 9 novembre 2005. Le ministre de l'Education nationale était en visite d'inspection dans quelques écoles d'Adrar, quand il a constaté que la moitié des élèves n'ont pas de livres. Ce n'était pas un problème d'indisponibilité des ouvrages, mais un problème de pauvreté qui a poussé les pères de famille à ne pas les acheter. Le ministre s'est rendu à l'évidence : « Beaucoup de parents non pas la possibilité d'acheter des livres à leurs enfants ». M. Benbouzid avait pris l'engagement de « sensibiliser le gouvernement afin d'aider les ménages déshérités à acquérir des manuels à leurs enfants ». Le gouvernement a donné une suite favorable à cette demande en décidant l'octroi à titre « gratuit » des livres aux « enfants nécessiteux » à la rentrée scolaire 2006/2007. L'annonce a été faite par le premier responsable du secteur, en marge d'une visite d'inspection à Blida, le 23 mai 2006 : « Les élèves de la 1re année vont recevoir ce manuel à titre gratuit. Il en sera de même pour les catégories des démunis des différents cycles ». Le ministre a annoncé, le 27 août dernier, en marge de la rencontre des directeurs de l'éducation des 48 wilayas qui s'est tenue à Alger, que trois millions d'« élèves nécessiteux » bénéficieront de la « cession à titre gratuit » du manuel scolaire. Le ministre a enfin soutenu, à partir de Tipaza, le 18 septembre dernier, que la moitié des 53 millions de manuels, « déjà disponibles dans les écoles », sera distribuée « gratuitement » aux nécessiteux. Entre-temps, le département de M. Benbouzid a décidé de faire bénéficier les enfants des enseignants de cette même mesure. Le ministre a plusieurs fois parlé de « gratuité », et de « cession à titre gratuit » des manuels, ce qui conforte les parents dans leur position. Cependant, les directeurs des établissements réfutent cette idée de « cession à tire gratuit ». Pour eux, les livres seront uniquement « prêtés » et ils seront restitués par l'élève à la fin de l'année scolaire. Les directeurs font valoir une circulaire, datée du 6 juin 2006, signée par le secrétaire général du ministère de l'Education nationale et ayant pour objet : « Application des procédures relatives à la gratuité du livre scolaire pour l'année scolaire 2006/2007 ». Selon la circulaire, deux catégories d'élèves sont concernés par la « gratuité » du livre : tous les nouveaux élèves inscrits en 1re année, tous les écoliers qui bénéficient de la prime de 2000 da scolarisés dans les différents paliers à l'exception des « élèves qui redoublent ». Le point de discorde, contenu dans la circulaire, est le suivant : « L'élève doit préserver les livres qui lui sont remis gratuitement et ce, en les nettoyant et en évitant d'écrire dessus sachant qu'il les restituera à l'établissement à la fin de l'année scolaire pour en faire bénéficier d'autres élèves. » « Dans ce cadre, la première leçon d'ouverture de l'année scolaire s'articulera autour du livre scolaire, sa préservation et son entretien de la part des élèves de façon générale et tous les membres de la famille de l'éducation », ajoutent les rédacteurs de la circulaire. Cette disposition a le mérite d'avoir précisé qu'il ne s'agit pas de la « cession définitive » des livres, mais remet entre parenthèses toutes les déclarations publiques de M. Benbouzid. Elle pose un autre problème : celui de restituer les livres propres, sans prévoir toutefois des sanctions. « C'est une aberration », commente un parent. « Les nouveaux inscrits écrivent et utilisent des couleurs sur plusieurs manuels, notamment ceux de l'éducation civique, technologique, les maths, la langue arabe et l'éducation islamique. Les enseignants sont appelés à apposer leur correction sur les livres », déclare le même parent. « Effectivement, il y a un problème », affirme un enseignant. Au lieu de faire leurs cours, les profs passent leur temps à surveiller les élèves ayant bénéficié gratuitement du livre, pour leur interdire d'écrire dessus. « C'est contraire à toute règle de l'apprentissage tant chanté par les pouvoirs publics. Un élève à besoin d'appliquer ce qu'on lui inculque, comme il a besoin d'être corrigé et noté, d'autant plus que la nouvelle conception des manuels est ainsi faite », ajoute le même enseignant qui propose d'utiliser le crayon pour l'écriture et la correction puis la gomme à la fin de l'année scolaire. Cette situation inconfortable a crée un grave problème : l'interdiction d'écrire sur les manuels est faite soit uniquement aux élèves nécessiteux soit pour tout le monde dans la même classe. Ainsi, même si l'écolier achète ses livres, il ne pourra pas les utiliser à sa guise ! Dans un autre sens, on image mal le fait qu'une partie de la classe utilise librement son manuel et l'autre se contente de regarder ou s'appliquer sur des cahiers. On croit savoir que ce genre de situations a lieu dans les écoles. Il s'est trouvé encore des directeurs d'écoles qui ont fait signer aux parents des déclarations d'honneur à propos de la restitution des manuels en bon état ! Il en découle que les directeurs et les enseignants font tout pour satisfaire une disposition de la circulaire, même si cela doit se faire au détriment des intérêts des élèves. Le secrétaire général au ministère a demandé aux directeurs de l'éducation une application stricte des dispositions de la circulaire en l'informant des difficultés rencontrées dans cette opération.