L'Algérie a la particularité d'être passée par des phases aussi violentes qu'une longue Guerre de Libération nationale et une décennie noire particulièrement atroce, dont les effets sont à ce jour intériorisés. La propagation de la violence en Algérie inquiète au plus haut niveau. Le fléau prend de l'ampleur dans tous les milieux et strates de la société et son impact sur les victimes, la stabilité et la cohésion sociale est désastreux. L'accentuation de la misère n'est pas pour arranger les choses. Au contraire, la dégradation des conditions socioéconomiques et le creusement des disparités sociales ont pour effet pervers la manifestation de la violence sous plusieurs formes. Le pays a la particularité d'être passé par des phases aussi violentes qu'une longue Guerre de Libération nationale et une décennie noire particulièrement atroce, dont les effets sont à ce jour intériorisés. Comprendre «Les ressorts, l'impact et l'objet» et «Les expressions psychiques, sociétales et sociales» de la violence est l'exercice laborieux auquel s'adonnent, depuis hier à l'université de Béjaïa, un groupe de spécialistes de plusieurs universités du pays, qui se sont demandé si «on est en droit de s'inquiéter des violences qui ont cours dans notre pays où une certaine opinion affirme la fin des repères symboliques de la loi, la chute des idéaux et le déclin de l'image paternelle». Malaise social Ces questions sont abordées dans le cadre d'un colloque national intitulé : «Figures de la violence en Algérie : aspects psychologiques et sociologiques», organisé par le laboratoire interdisciplinaire santé et population de la faculté des sciences humaines et sociales de l'université de Béjaïa. Après avoir étalé une demi-douzaine d'approches scientifiques du fléau, le professeur Abboud Hayet, de l'université Constantine 2, dans sa communication intitulée «Dynamique de la violence fondamentale à travers quelques approches», soutient que «la violence est un phénomène qui ne peut être abordé sans deux concepts fondamentaux qui sont liés à lui dans le mode et l'expression : il s'agit de l'agressivité et de l'agression. L'agressivité est une disposition mentale, l'agression un mode d'expression et la violence une forme d'expression jugée socialement plus grave dans le contexte où elle se manifeste». La conférencière ajoute que «l'Algérie, comme de nombreux pays, a été parmi les premiers touchés par cette bête immonde qui l'a ravagée durant une longue et noire décennie, piétinant ses valeurs humaines, culturelles et religieuses et exterminant les meilleurs de ses enfants», expliquant qu'il s'agit d'un «massacre d'ordre politico-économique, culturel et religieux dont le but est l'éradication de l'identité de base, de l'organisation sociale régnante et leur remplacement par une autre forme plus archaïque…». Estimant que «depuis, la violence ne cessa plus», le professeur Abboud soutient que le phénomène est «l'expression du malaise social, de la malvie, de la marginalisation de certaines catégories sociales, de la répression du système politique et du monopole des richesses du pays par les gouvernants». Pour sa part, la présidente du colloque, le professeur Bouatta Cherifa, dans une communication intitulée : «L'immolation ou la violence contre soi. De quelques hypothèses interprétatives», s'est attelée à décortiquer le phénomène de l'immolation par le feu en Algérie, à partir des faits divers relayés par la presse nationale. La conférencière axe sa communication sur deux «bords» — social et intrapsychique — et distingue entre un «mort psychologique» et un «mort sociologique». Disqualification Pour la conférencière, «l'automutilation est l'expression d'un malaise et d'une crise sociale profonds» qui découlent, avant tout, de la nature du système économique et politique. Ce système où règnent les injustices, les inégalités et une répartition des richesses inéquitable finit, à force de disqualification, par «diviser la société entre capables et incapables». Les démunis, ceux qui se sentent dans cette deuxième catégorie, recourent à l'immolation sur la place publique dans un acte «sacrificiel» dont la visée est d'interpeller, de «dénoncer et accuser les puissants, les capables», qui sont à l'origine de la disqualification. En outre, l'auteure du livre Traumatisme collectif en Algérie pointe du doigt «le discours paradoxal et négationniste» des gouvernants, dès qu'ils sont en face de tels cas. De son côté, le professeur Khettache Rbiaâ, de l'université Alger 2 et membre du Créad, a exposé une enquête intitulée «Maltraitance de l'enfance en Algérie : enquête sur les sévices psychiques et/ou sexuels», menée sur un échantillon de 21 cas de maltraitance enregistrés dans les structures hospitalières par l'Unicef et le ministère de la Solidarité. L'enquête a révélé que «globalement, les parents sont les principaux acteurs de la maltraitance physique dans 70% des cas. En premier lieu, le père est l'acteur des maltraitances physiques dans 43% des cas, la mère dans 27% des cas, l'enseignant, avec 16,7%, est bien loin devant le frère (7,3% )des cas et l'oncle (5,2%)». S'agissant des agressions sexuelles, l'enquête a également révélé que dans la majorité des cas, les agressions ne sont pas dénoncées et, si elles le sont, c'est seulement dans des cas de grossesses, soulignant que, par absence de structures et de mécanismes de suivi, les victimes sont généralement reconduites dans leurs foyers. La conférencière souligne par la suite le poids des traditions et des tabous qui participent à occulter les agressions de type sexuel, avant de proposer la réflexion de savoir s'il faudrait protéger l'enfant ou la famille. Au terme de cette rencontre scientifique qui inclut également des travaux d'atelier, les participants devraient ressortir avec des recommandations, ou, du moins, des publications sur le sujet, nous a confié le docteur Abdelhalim Berretima, président du comité scientifique du colloque.