Les hommes d'affaires, les structures gouvernementales elles-mêmes et les simples citoyens se plaignent de la bureaucratie qui sévit dans notre pays. Le phénomène prend des ampleurs alarmantes. Il est devenu un calvaire pour un administré ou une entreprise d'entreprendre une activité de constitution de dossier pour développer une activité quelconque ou se procurer un document, souvent un droit que l'auteur serait en mesure d'attendre sans grand tracas. Le phénomène est multidimensionnel : sociologique, psychologique, managérial, etc. Chacun l'analyse sous un angle particulier : moral, économique, religieux et autres. Cependant, même si le phénomène est considéré comme grave on mesure rarement son impact réel sur l'économie. Une bureaucratie maladive peut tout simplement ruiner toute une économie et pousser la vaste masse des citoyens à la paupérisation alors que l'émergence et le développement auraient été possibles avec une autre administration. Il n'y a pas que les citoyens qui vivent des calvaires avec une administration étouffante. L'économie en souffre en silence. Elle se rétracte, se rétrécit et la part de chaque citoyen devient si mince qu'il faut craindre le chaos. Si le pays est riche, alors les dilapidations seront énormes. Si on injectait 100 milliards de dollars pour développer des infrastructures, on en aura pour 20 ou trente ; le reste sera dilapidé en restes à réaliser, malfaçons, et souvent corruption. Les ressources perdues seront à peu près trois fois le montant des réalisations. On injecte trois dollars pour avoir un dollar d'infrastructures. Le pays se trouverait alors dans une situation ou la bureaucratie crée un cercle vicieux duquel il serait difficile voire impossible de s'en sortir. C'était le cas du Brésil durant les années soixante-dix. Le pays s'est retrouvé prisonnier d'une administration tentaculaire qui annihile tout effort de développement. Le pays en a pris conscience. A ce moment fut créé un ministère de la dé-bureaucratisation qui remit à plat toutes les procédures administratives. Le remède suivi est connu et produisit les résultats escomptés. Mécanismes de fonctionnement Les bureaucrates sont des personnes humaines comme nous tous. A leur place et dans leurs conditions on aurait agi de la même manière. La vaste majorité est constituée de personnes très charmantes et très attachantes. Ce sont nos pères, nos frères, nos sœurs et nos amis. Il ne faut pas chercher l'explication du phénomène à partir de particularités des ressources humaines qui composent la profession. Ce sont plutôt les processus et les méthodes archaïques de gestion du secteur qui sont en cause. Premièrement, les personnes sont rarement rappelées des dommages psychologiques et économiques qu'ils produisent aux citoyens et à la nation. Un employé de bureau comprend rarement que c'est son attitude vis-à-vis des citoyens (bloquer et rallonger inutilement les périodes d'octroi d'un document ou d'une autorisation) qui expliquent pourquoi ses deux enfants et sa fille sont au chômage. En second lieu, lui-même est victime de procédures bureaucratiques. Son attitude qui consiste à faire revenir inutilement les citoyens pour régler leurs problème il la paye cash lui aussi : malade, on lui signifie d'attendre des mois pour passer un scanner. Il subit ailleurs ce qu'il fait subir aux citoyens chaque jour. Chacun se plaint des autres structures en oubliant que la sienne est aussi responsable que les autres. Aucune formation ne leur est donnée pour mesurer l'impact de leurs actions sur le reste de la société. Ils ne savent pas que par leur comportement ils sont entrain de diffuser un venin mortel qui va saper les fondements de l'économie et de la société. Pour un administratif ne pas être au service de l'administré n'est pas grave, il peut le faire avec un minimum de conséquences. Mais ce sont des millions d'administratifs qui pensent ainsi le résultat serait catastrophique. Nos administratifs sont sous payés. L'Etat recrute un grand nombre –au moins 45%- de plus que nécessaire et les sous paye. Le résultat serait catastrophique : des ressources démobilisées. Certes, corriger leur salaire n'est pas suffisant. Mais comme l'explique une célèbre théorie managériale (X et Y) si le salaire est insuffisant, il ne faut pas rêver d'avoir un effectif mobilisé. Il faut corriger les salaires et dimensionner les effectifs sans pour autant laisser personne sans ressources (formation/ reconversion). Nos administratifs sont également sous considérés. On les implique rarement dans les grandes décisions qui concernent le pays ou leur propre sort. Le management interne les marginalise trop souvent. Cette absence de respect est transposée dans les relations avec les citoyens. « On ne nous respecte pas donc on ne vous considère pas » semble dire les administratifs au reste de la population. Quelques pistes Bien évidemment, il ne nous est pas possible de faire un diagnostic détaillé de la situation de nos institutions administratives dans ce contexte. Mais nous devons être conscients d'un élément important de la problématique. Nos administrations sont gérées avec les pratiques pré-Wébériennes du début du XXe siècle (les années 1910). Les pays développés et émergents sont passés au système Wébérien jusqu'au milieu des années quatre-vingt ou ils ont fait un bond considérable. Le nouveau système managérial actuel s'appelle le NPA (New Public Administration). Il tire ses pratiques tout simplement du « Business Management » traditionnel. Les administrations modernes sont gérées comme des entreprises avec des contrats d'objectifs, des rémunérations variables et les techniques managériales les plus up to date (Lean management, gestion de la qualité etc.). Nous devrions avoir une instance chargée de remettre sur rail le processus administratif. C'est une condition sine qua non de sortie de crise et d'exécution des politiques d'émergence. Mais ce n'est pas suffisant. Il nous faut mettre en place le système de modernisation managérial pertinent. L'hypothèse avec laquelle travaillent nos décideurs n'est pas valable Elle consiste à dire que nous avons des problèmes administratifs ; mais avec un minimum de réformes, nous pouvons améliorer la situation et juguler la crise économique et postuler à l'émergence. Or en réalité il est impossible de vaincre la crise et d'émerger sans une révolution profonde des modes de fonctionnement administratifs. Nous devons intégrer les dimensions du nouveau mode managérial (tout en l'adaptant au contexte). Mais ceci serait proche d'une révolution managériale. Il faut responsabiliser une équipe transversale et avoir le courage politique de faire des réformes qui vont bouleverser le mode de fonctionnement de nos administrations. Les TIC peuvent aider grandement. Mais la volonté et la méthode sont plus importantes.