Le bureau d'études en charge du suivi technique, le groupement allemand KSP Jürgen Engel Architekten et Krebs und Kiefer, après avoir été confronté à des obstacles et des retards, a fini par être écarté en octobre 2015. Habituellement très discrets, les Allemands ont rompu le silence, s'exprimant publiquement à propos de leur éjection du projet. La construction de la Grande Mosquée d'Alger continue de faire polémique entre le maître de l'ouvrage, le ministère de l'Habitat, et des experts en risques majeurs qui ne cessent d'exprimer leurs craintes de voir l'édifice s'effondrer en cas de séisme de forte magnitude, en raison d'une étude technique «assez faible» pour prendre en charge les risques auxquels est confronté le site. Pour sa part, le ministère a opposé un niet à nos sollicitations pour avoir sa version des faits. Lancés en 2012, au moment où les revenus pétroliers explosaient, les travaux de réalisation de ce complexe religieux, confiés à la société chinoise China State Construction Engineering Corporation (CSCEC), devaient être achevés en 2016, mais des problèmes ont surgi. Le bureau d'études en charge du suivi technique, le groupement allemand KSP Jürgen Engel Architekten et Krebs und Kiefer, après avoir été confronté à des obstacles et des retards, a fini par être écarté en octobre 2015. Habituellement très discrets, les Allemands ont rompu le silence en s'exprimant publiquement à propos de leur éjection du projet. Leur mission était de s'assurer de la qualité technique liée à la sécurité de l'ouvrage et de l'aspect architectural. «C'est durant cette phase que les problèmes ont vraiment commencé. Nous avons vu que la qualité et l'organisation de l'entreprise chinoise n'étaient pas à la hauteur des attentes. (…) Nous sommes allés bien au-delà de ce qui se fait normalement dans un processus d'approbation de plans d'atelier et nous avons assisté activement les Chinois dans la production de leurs plans. (…) Les plans contenaient beaucoup d'erreurs et parfois n'étaient même pas finis ; certains ne contenaient que la moitié des informations requises, nous étions dans l'obligation de les rejeter. Cela a été perçu comme une sorte de frein sur le projet. On nous a rendus responsables de ce retard, mais son origine provient du travail de l'entreprise chinoise.» Un retard qui sera utilisé comme argument pour rompre le contrat avec le groupement allemand et le confier, de gré à gré, au bureau d'études français EGIS. Parallèlement, le débat fait polémique chez les experts qui reprochent au maître de l'ouvrage d'avoir opté pour un site hautement sismique, présentant des risques que l'étude technique n'a pas suffisamment traités pour éviter au minaret et à la salle de prière de 150 mètres de côté, sans poteaux intermédiaires, l'effondrement en cas de tremblement de terre majeur. Le maître de l'ouvrage, en l'occurrence le ministère de l'Habitat, ne partage pas cette crainte. Aussi bien le ministre, Abdelmadjid Tebboune, que son chargé de la communication, Ahmed Madani, n'ont cessé de rassurer l'opinion publique : «La mosquée a été construite selon un système antisismique en mesure d'absorber de fortes secousses telluriques. Il s'agit d'amortisseurs capables d'abaisser la magnitude d'un séisme de 9 à 3,5 sur l'échelle de Richter.» M. Tebboune va même jusqu'à accuser ses détracteurs d'être «des malades qui cassent tout ce qui est algérien. Selon eux, tout ce qui est beau est mauvais dès lors que c'est fait par des Algériens». Il rassure les Algériens en disant : «C'est le premier édifice depuis l'indépendance où l'on a utilisé les techniques japonaise et allemande d'amortisseurs qui réduisent l'intensité d'un séisme par 5.» Qui croire ? Les experts qui argumentent de manière objective leurs craintes, ou un ministre qui, à défaut d'argument, accuse ses détracteurs d'êtres «des malades» ? En tout cas, le Pr Abdelkrim Chelghoum, expert et président du Club des risques majeurs, ne partage pas la sérénité du gouvernement et exprime une inquiétude clairement affichée (lire l'entretien ci-contre).