Hier encore, le ministre s'est rendu sur place pour inspecter et évaluer l'état d'avancement des travaux de cet imposant ouvrage dont la livraison devrait, théoriquement, avoir lieu la fin de l'année en cours. Le projet est pharaonique. Par certains aspects, il est considéré comme une de ces lubies dissimulées du Président assimilable à celles des dirigeants tiers-mondistes en quête d'immortalité. Mais pour nombre d'Algériens, englués dans la cure d'austérité, le projet agace : lancée en 2012, la Grande mosquée d'Alger, Djamaâ El-Djazaïr ou encore la mosquée Bouteflika comme l'appellent certains, la troisième du monde après celle de Médine et de La Mecque, semble constituer le souci majeur des autorités ces derniers mois. Signe de cette préoccupation : les visites répétées sur site du ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, Abdelmadjid Tebboune. Hier encore, le ministre s'est rendu sur place pour une visite d'inspection et évaluer l'état d'avancement des travaux de cet imposant ouvrage dont la livraison devrait théoriquement avoir lieu à la fin de l'année en cours. "Le projet sera livré dans les délais fixés, à savoir entre la fin de l'année 2016 et la fin du premier trimestre de l'année 2017", a déclaré le ministre à des journalistes en marge de cette visite. Cet optimisme s'explique par le rythme de travail effectué grâce à la coordination "sans précédent" entre l'agence Anagerma qui supervise le projet, l'entreprise réalisatrice, le géant chinois du BTP, "China State Construction Engineering Corporation" (CSCEC) et le bureau d'études français "Egis" qui a remplacé le groupement allemand "KSP Jürgen Engel Architekten" et "Krebs und Kiefer" auquel revient la paternité du projet et dont le contrat a été résilié en octobre 2015. Ainsi, ce "haut" niveau de coordination a permis un avancement notable des travaux. Le minaret a atteint le 19e étage et dépassé la hauteur de 120 mètres. La coupole, qui couvrira la salle de prière — qui sera réalisée en Chine — sera envoyée de Shanghai le 6 mai et placée après le mois de Ramadhan. Les travaux de réalisation de la salle de prière, des 37 étages du minaret et de la plupart des structures seront achevés entre la fin 2016 et la fin du premier trimestre 2017 également, tandis que les travaux d'ornement et de décor seront confiés à un bureau d'études international spécialisé et réalisés par des artisans algériens, selon le ministre. Mais cet optimisme n'est pas de nature à rassurer sur la qualité du travail, encore moins sur le respect des délais, ni pour calmer la polémique autour de ce projet à la place duquel nombre d'Algériens y verraient bien la réalisation de nombreux hôpitaux. "Si on la réceptionne en 2025, notre pays sera le champion du monde. En Algérie, la construction d'une petite mosquée de mille personnes prend au minimum cinq ans. Pourquoi ? Parce qu'on tarde sur les finitions et la sculpture. Pour une mosquée de cette envergure, il est impossible de respecter les délais avancés par le ministre de l'Habitat", affirme le président du Collège national des experts architectes (Cnea), Abdelhamid Boudaoud, cité par TSA. Même le groupement allemand ne cache pas son pessimisme. "S'il est vrai que le gros œuvre est très compliqué, ça reste unidimensionnel. Ce qui est à venir maintenant sont les lots techniques, qui sont très compliqués", explique l'ancien directeur technique du projet, Eric Fischer, à nos confrères de TSA. "Surtout, il y a un niveau de finition et de qualité de matériaux correspondant aux standards européens qui doit être atteint. C'est ce qui est dû par l'entreprise chinoise et c'est ce que le client veut, et par client, je parle de la Présidence." Outre la polémique sur la fragilité du sol, zone sismique, les délais de réalisation dont beaucoup tablent sur 2019, le coût du projet qui, visiblement, risque de tripler (initialement fixé à 1 milliard de dollars), dans un contexte d'austérité, il y a également des appréhensions sur la qualité des travaux. "Le groupe CSCEC souffre d'un déficit en matière de compréhension de la qualité. Les Chinois sont connus pour construire très vite au détriment de la qualité. C'est peut-être acceptable pour d'autres projets, mais pour ce projet, ce n'est pas acceptable, puisque c'est un chef-d'œuvre étatique. Notre politique était d'être souple là où le projet le permet, tant que le contrat est respecté et que la qualité et les normes sont là. Dès qu'on sort du contrat et que c'est au détriment du projet, c'est non", soutient Eric Fischer. Mais pour les autorités, on met cette polémique sur le compte d'une "campagne menée par des parties qui tentent de saper les efforts de l'Algérie". "Les relations entre l'Algérie et les pays amis, tant l'Allemagne que la France, ne peuvent être affectées par les appréhensions de ces parties qui constituent une minorité", a assuré Tebboune. Il faut dire que les prières de Tebboune pour l'achèvement de projet titanesque, dont il faut bien convenir qu'il cristallise les efforts de l'Exécutif, devrait obéir à quelque agenda politique caché : Bouteflika voudrait probablement accomplir une prière dans cette mosquée avant de passer le flambeau. Karim Kebir