Badreddine, 13 ans, écolier à Aïn Bessam (Bouira), n'a pas donné signe de vie depuis 22 jours. Sa famille ignore s'il a disparu ou a été kidnappé. En Algérie, aucune semaine ne passe sans qu'une disparition ou un enlèvement d'enfants ne soient signalés dans l'une des régions du territoire national. Le dernier cas est celui de Badreddine Lamouri, 13 ans, un écolier originaire de Aïn Bessam, à 20 km à l'est de Bouira, porté disparu depuis le 30 avril dernier. En ville, ses portraits sont sur tous les murs et toutes les voitures. Son père, Mohamed, 45 ans, rencontré dans la maison des grands-parents au centre-ville, reste sceptique, car la famille n'est, pour l'instant, sur aucune piste. «Nous ignorons s'il s'agit d'un kidnapping ou d'une disparition», dit amèrement Mohamed. Au salon comme sur le balcon de la maison des parents de Mohamed, deux banderoles sont brandies, sur lesquelles on peut lire : «Reviens Badreddine. Nous t'attendons tous avec impatience.» Les Lamouri, des vendeurs de chaussures, ne se quittent plus depuis 22 jours. Ici, Mohamed, ses frères, leurs enfants et la grand-mère Fatima, 67 ans, sont quotidiennement réunis pour avoir les dernières nouvelles. «Mon fils est un brillant élève. Il a eu 14 de moyenne lors du dernier trimestre. Je gagne assez bien ma vie. Il ne manquait de rien», avoue Mohamed, qui ne quitte pas des yeux les photos de son enfant Badreddine. Fatima, la grand-mère, témoigne : «Il a dormi dans ma chambre. Il m'a demandé de le réveiller à 7h15, car il avait cour ce jour-là.» Casquette C'était un samedi, jour qui coïncidait avec la finale de la coupe d'Algérie, qui a vu le club préféré de Badreddine, le MCA, battre le NA Hussein Dey au stade du 5 Juillet, à Alger. Vêtu d'un survêtement rouge et noir, Badreddine quitte la maison, comme chaque samedi, vers l'institut des langues, à 600 m de chez lui, où il avait un cours d'une heure de langue anglaise. Il était 8h. «Son enseignant n'est arrivé qu'une demi-heure plus tard», raconte Mohamed. Pendant ce temps, les élèves l'attendaient sur le quai. Selon Mohamed, qui reprend les déclarations d'un des camarades de son fils, Badreddine «avait dit à ses camarades qu'il allait s'acheter quelque chose à manger». Le même élève avoue l'avoir aperçu, quelques minutes plus tard, sur la place du centre-ville, à 10 mètres de l'institut, en compagnie d'un jeune qui avait, selon ses descriptions, «17 ans, portant une chaîne, une gourmette et une casquette rouge et bleue». «Les élèves ne le connaissent pas. Même les services de la police n'ont pas réussi à dresser son portrait, témoigne le père. Le cours a eu lieu, mais sans Badreddine qui a été porté absent.» Un autre témoignage livré par le propriétaire d'une pizzeria non loin du magasin de l'oncle de Badreddine brouille les pistes construites jusque-là par sa famille. Son père explique que Badreddine avait l'habitude de s'y rendre chaque samedi après son cours pour aider son oncle en premier lieu et déjeuner avec lui avant d'entamer ses cours de l'après-midi à la maison de jeunes (juste en face du magasin de l'oncle). Pizzeria «Le propriétaire de la pizzeria nous a avoué qu'il l'avait aperçu avec deux autres enfants. Son témoignage n'est pas assez fort, car les vêtements de mon fils décrits par la personne en question ne correspondent pas à ceux portés ce jour-là par Badreddine», assure Mohamed. Puis, un troisième témoignage. Selon la famille, Badreddine aurait joint par téléphone, à deux reprises, son cousin Raïd, 15 ans, élève dans le même CEM que Badreddine. Dans un premier temps, pour lui demander de le «rejoindre au cours d'anglais», puis, vers 10h, pour l'inviter à «l'accompagner au stade du 5 Juillet afin d'assister à la finale de la coupe d'Algérie». Selon son père, son téléphone était éteint définitivement vers 10h05, et Raïd était la dernière personne à avoir parlé avec lui. Il est 18h et aucun signe de Badreddine. «Mon fils rentre toujours tôt», assure Mohamed. Ce n'est qu'après cette heure que la famille décide de signaler sa disparition auprès de la sûreté de la daïra de Aïn Bessam. Depuis, toute la région est mobilisée afin de le retrouver, en vain. «Nous avons cherché à Aïn Bessam, dans tous les garages et les magasins fermés, dans les wilayas limitrophes, comme M'sila et même à Alger. Ses photos sont placardées partout à Bab El Oued, mais nous n'avons toujours aucun signe à ce jour», explique Ali, l'oncle de Badreddine. Le 5 mai, jour de la célébration de la victoire du Mouloudia à Alger par les supporters et les joueurs, beaucoup d'habitants de Aïn Bessam ont fait le déplacement dans l'espoir de le retrouver dans la capitale, en vain. En ville, tout le monde interpelle Mohamed pour s'informer. A l'affût du moindre indice, Mohamed a tout le temps le regard fixé sur les portraits de son fils qu'il voit partout. Impossible pour lui d'éviter le regard innocent de Badreddine. Pas loin de la gare routière, Mohamed rencontre Bessaâd, un retraité du secteur de l'enseignement. En septembre 2003, le fils de cet ancien enseignant avait fugué de peur de montrer son bulletin de notes à son père. La famille croyait l'avoir perdu, car il n'est revenu que 12 jours plus tard. «Mon fils est allé voir un match de football à Sétif, pris des photos à Aïn El Fouara, puis je ne sais pas pourquoi il avait choisi de s'installer à M'sila. Nous avons vraiment perdu espoir, car on pensait qu'il était dehors en plein hiver, se souvient l'enseignant. Un jour, quelqu'un m'a appelé de M'sila et m'a informé que mon fils se trouvait en toute sécurité chez lui. Je l'ai enfin récupéré, et depuis nos deux familles sont devenues proches. D'ailleurs, on se rend visite mutuellement.» Badro A la maison, Fatima dit «perdre ses repères». Pour elle, «l'ambiance n'est plus la même». Son père précise que Badreddine «n'a jamais voyagé tout seul». «Comment pouvait-il alors avoir l'idée d'aller au stade ?» s'interroge-t-il. «Badreddine ne peut pas penser à la fugue, affirme la grand-mère. Il n'avait pas d'argent sur lui.» A la maison, ses frères et sœurs, tous réunis, âgés de 1 à 10 ans, crient le nom de «Badro». Dans cette ambiance tendue, la mère de Badreddine reste, elle, discrète. Encore sous le choc, elle se contente de dire qu'elle garde encore «l'espoir de le voir revenir et animer la maison comme il le faisait avant». «Seul Dieu sait où il est. Nous demandons sa clémence et son aide», espère-t-elle. Jointe par téléphone, la chargée de communication de la sûreté de wilaya de Bouira confie à El Watan Week-end que «la sûreté de la daïra de Aïn Bessam, ainsi que le pôle judiciaire de la wilaya travaillent conjointement afin de faire la lumière sur cette affaire». La famille garde espoir : «Cet événement a bouleversé nos vies. Nous n'arrivons plus à travailler. Nous sommes perdus.»