L'étude du mégaprojet du port commercial du Centre, implanté à Cherchell, a été confié à un bureau d'études chinois après plusieurs mois de quiproquos sur son emplacement et son impact sur la région. Le dossier du mégaprojet du port commercial de Cherchell vient d'être transféré finalement au ministère des Travaux publics. Il demeure toujours à l'étude. L'Algérie avait confié la gestion et la réalisation de ce grand port commercial aux Chinois. Mais ce que beaucoup ignorent, c'est que la gestion entière de celui-ci sera confiée aux entreprises chinoises durant 35 années à partir de sa mise en service. Les Chinois ne se sont pas croisé les bras depuis l'accord du Conseil des ministres tenu le 30 décembre 2015 à Alger, pour être plus présents dans les activités au niveau de la partie ouest de la Méditerranée. Pékin s'est déjà engagé dans le financement de ce projet. Depuis le début du mois de mai 2016, un bureau d'études chinois (CHEC) est entré en scène afin de s'occuper de l'étude du mégaprojet, alors que les Sud-Coréens seront sans aucun doute écartés. La compagnie maritime chinoise COSCO (China ocean shipping company) a dans sa ligne de mire le port commercial de Cherchell, après avoir remporté en 2009 une concession de 35 ans pour exploiter deux terminaux à conteneurs dans le port du Pirée (Grèce) pour devenir incontournable dans la région est de la Méditerranée. Aucun ministre du gouvernement de Abdelmalek Sellal n'a effectué une visite sur le site d'El Hamdania pour avancer les arguments réalistes sur l'impact du port commercial sur le site «choisi» par ce directeur du ministère des Transports. «La morphologie du site d'El Hamdania ne se prête pas pour la construction d'un grand port commercial, nous disait cet ingénieur et expert du secteur des travaux publics qui connaît parfaitement la côte de la wilaya de Tipasa. A l'ouest de Cherchell, il est possible de réaliser le port commercial avec moins de dégâts et un coût moindre». Le commandant de bord algérien d'un grand navire commercial abonde à son tour : «Il faudrait que les décideurs algériens se renseignent sur le port italien d'Augusta (Sicile) qui présente les mêmes caractéristiques du littoral que l'ouest de Cherchell. C'est plus commode pour le travail et la sécurité, et le plus intéressant, c'est qu'à l'ouest de Cherchell la mer n'est pas profonde, c'est un avantage ; par conséquent, il est plus facile d'avancer vers la mer, donc gagner des surfaces pour le port commercial.» Le bureau d'études chinois CHEC (China harbour engineering company) vient de faire son apparition au ministère des Travaux publics, selon un cadre dans ce ministère. Les Chinois du CHEC ont présenté au département ministériel de Abdelkader Ouali six variantes. Etude inapropriée Le bureau d'études vient de proposer une avancée vers la mer. Une lueur d'espoir, car cette variante peut se concrétiser plus facilement à l'ouest de Cherchell et permettra de préserver quelques hectares de surface agricole. Dans l'intérêt écologique, économique, social, le ministre des Travaux publics, Abdelkader Ouali, aura-t-il ce courage pour remettre en cause l'étude du mégaprojet du port commercial centre présentée par la direction des ports du ministère des Transports ? Le bureau d'études China Harbour Engineering Company est un redoutable concurrent pour le bureau d'études sud-coréen Yuill Engineering Co Ld, qui avait collaboré avec la direction des ports du ministère des Transports sans aboutir à des résultats sérieux. Pour rappel, l'idée de réaliser un grand port commercial à l'ouest de la capitale a commencé à prendre forme quand Amar Tou était à la tête du ministère des Transports. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, n'avait pas cessé de rappeler lors de ses interventions publiques que le projet du grand port commercial Centre sera implanté à l'ouest de la ville de Cherchell. Ce sera un port constitué de 23 quais qui aura à traiter un volume de 6,5 millions de conteneurs et 25,7 millions de tonnes de marchandises annuellement. Le directeur des ports, qui relève du ministère des Transports, annonçait à son tour que le port commercial sera érigé à El Hamdania, une agglomération côtière qui se trouve à l'est de Cherchell. La déclaration du directeur central était en contradiction totale avec les affirmations du Premier ministre. Le coût initial du projet est estimé à 3,5 milliards de dollars. Sa réévaluation n'est pas à écarter, à l'instar des autres grands projets en Algérie. Le délai de réalisation a été fixé à sept ans. Le lancement des travaux est annoncé pour la fin de l'année 2016 si le site est maintenu. Un tel projet d'une aussi grande importance devait avoir l'accord du gouvernement. Le Conseil des ministres avait ignoré toutes les lois relatives à la stratégie de préservation et de protection des zones littorales, la protection et la valorisation du littoral, la protection de l'environnement dans le cadre du développement durable, les conséquences de la littoralisation, la gestion intégrée des zones côtières, le schéma directeur des zones archéologiques et historiques, les aménagements des zones d'expansion et sites touristiques (ZEST). A la fin de décembre 2015, le Conseil des ministres, présidé par Abdelaziz Bouteflika, a donné alors le feu vert sur la base d'une étude inachevée. Impact Le service concerné par le dossier du port commercial qui relevait du ministère des Transports avait présenté une étude non exhaustive, sans dévoiler l'impact sur les volets environnemental, social, économique, remise par le bureau d'études sud-coréen Yuill Engineering Co Ltd. Sans se déplacer sur le terrain pour relever les coordonnées du site El Hamdania qui avait été imposé par le cadre du ministère des Transports, un acte d'une extrême gravité, on a osé présenter en Conseil des ministres un semblant d'étude inappropriée, induisant en erreur les hautes autorités du pays qui avaient pris une décision sur la construction du grand port commercial à El Hamdania. Bouteflika avait donc donné son accord pour cet important projet d'envergure sur la base d'une étude qui n'était pas sérieuse. Par ailleurs, les responsables de la wilaya de Tipasa ignoraient tout du projet dont le dossier n'a pas quitté les bureaux du directeur central du ministère des Transports. Poursuivant la politique de la fuite en avant et alors que l'étude n'a même pas encore été entamée, le 17 janvier 2016 à Alger - soit deux semaines après la tenue du Conseil des ministres - les Chinois signent un protocole d'accord et de partenariat avec les autorités algériennes. L'obtention du marché du port commercial de Cherchell rentre dans le cadre du plan inscrit dans la feuille de route de la compagnie maritime chinoise (Cosco). En réalité, le ministère des Transports avait pris à la légère ce lourd dossier du mégaprojet. Les services concernés de la wilaya de Tipasa avaient été saisis le 16 février 2016 pour consulter le dossier de l'étude proposée par le ministère des Transports. Des citoyens de Cherchell avaient exhorté le Premier ministre à orienter le bureau d'études désigné pour déplacer le projet vers l'ouest de leur ville, entre le site de la Pointe rouge et l'entrée Est de la localité côtière de Sidi Ghilès. Selon les premières conclusions de l'étude des Sud-Coréens, la réalisation du port à El Hamdania signifiera la disparition de 3000 hectares de terres à haut rendement agricole, dont une partie se trouve dans le périmètre irrigué de la Mitidja Ouest : l'éradication d'une soixantaine d'EAC (Exploitation agricole collective), de trois fermes pilotes et d'une pépinière, de douze EAI (Exploitation agricole individuelle), la disparition d'une colline boisée du Rocher blanc d'un volume de 200 millions de mètres cubes, qui représente un déblaiement de 400 millions de tonnes de terres et de pierres. Interrogé par nos soins lors d'une halte à Aïn Tagouraït sur l'impact sur les terres agricoles et le domaine forestier, le ministre de l'Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Sid Ahmed Ferroukhi, a déclaré : «Ne vous en faites pas, nous allons le réaliser avec le moins de dégâts possibles sur les terres agricoles, tandis que les hectares de forêt qui disparaîtront vont être remplacés à l'intérieur ; nous allons trouver des espaces pour reboiser l'équivalent afin de ne pas perdre la surface forestière, et il ne faut pas oublier que c'est le projet du Président, nous devons le réaliser.» Préservation La vocation touristique dans la région de Cherchell risque ainsi de disparaître. Les Zones d'extension touristique de Oued El Bellah et celle d'El Hamdania, ainsi qu'une partie de la plage de Tizirine seront englouties par le béton, ainsi que les belles criques du Rocher blanc, les plages des Trois îlots, de Oued Bellah et de Tizirine, qui représentent une étendue de sable de 142 000 m2. Il s'agit des espaces mythiques pour des millions d'estivants depuis des décennies qui seront rasés de la carte touristique de la région de Cherchell. Interrogée, la directrice du tourisme de la wilaya de Tipasa rétorque : «On m'a dit de me taire sur ce sujet, et c'est ce que je fais !» En visite de travail dans la wilaya de Tipasa, le ministre du Tourisme, de l'Aménagement du territoire et de l'Artisanat, Amar Ghoul, a indiqué : «Le port commercial sera construit, c'est le projet du président de la République, tous les sites qui vont disparaître seront compensés par l'Etat.» Le ministre des Transports, Boudjemâa Talaï, en visite à l'Ecole nationale supérieure maritime (ENSM) de Bou Ismaïl, n'a pas répondu à notre question relative aux déclarations du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui avait localisé le site du port commercial à l'ouest de Cherchell, alors que le Conseil des ministres avait donné son accord pour la construction du port commercial à l'est de la ville. En réponse à la question sur les conséquences écologiques que peut provoquer la construction du port commercial sur le site El Hamdania, Boudjemâa Talaï se contentera de dire : «Vous pouvez rassurer les citoyens qui s'inquiètent, nous traversons des moments difficiles, nous devons être tous unis pour affronter ces moments, ce projet nous garantit l'avenir et des industries vont être créées grâce à ce port.» Et d'ajouter : «Vous devez faire confiance aux techniciens, vous savez qu'une bande littorale de 200 km avait été balayée par le bureau d'études, les techniciens n'avaient pas trouvé un lieu meilleur que celui du site d'El Hamdania pour implanter le port commercial.» Quant à l'utilisation de la dynamite qui sera utilisée pour aménager les fonds marins qui permettront aux grands cargos, tankers, céréaliers de manœuvrer et le risque de disparition des sites et monuments historiques qui se trouvent dans le périmètre du projet et autres objets historiques, tels que les 21 canons du XVe siècle immergés à quelques mètres de profondeur, le ministre a tenté de rassurer : «Nous allons procéder à des déflagrations sous la mer sans utiliser la dynamite, comme celles utilisées dans les forages pétroliers, sans mettre en péril la faune et la flore marines ; quant aux sites culturels, archéologiques et historiques, ils seront préservés.»