Le climat des affaires , toujours convalescent, se serait passé de cela. Il pleut de nouvelles informations judiciaires « économiques » toutes les semaines depuis la fin de l'été. Seule la recrudescence des attentats terroristes rivalise en intensité. Aucun secteur d'activité important n'a échappé à la chasse ouverte aux « transactions douteuses » : l'enquête judiciaire sur les conditions de réalisation du contrat de l'autoroute est-ouest –le plus important de l'histoire de l'Algérie- est la dernière en lice. La chronique judiciaire de la rentrée a été animé également par l'audition de pas moins de 80 personnes par le juge d'instruction en charge de l'affaire Rooth Brown and Condor (RB and Condor), engagée depuis le début de l'année pour des « marchés publics non conformes » contre cette joint ventures de travaux publics dans laquelle Sonatrach détient des parts. L'hydraulique aussi traîne son affaire ; le procureur près du tribunal de Hussein Dey traite depuis quelques semaines d'importants contrats de réalisation passés par l'Agence nationale des barrages avec des partenaires turcs, allemands et italiens ainsi que des opérateurs privés nationaux devenus « étrangement » des spécialistes des travaux hydrauliques au moment des soumissions. Les procédures judiciaires se multiplient certes contre managers et entreprises mais se durcissent aussi, comme le montre l'incarcération en détention provisoire du PDG de Algérie Télécom Brahim Ouarets pour une affaire de contrat fictif de 80 milliards de centimes qui ne serait « jamais remonté à son instance de décision » affirment ses avocats. L'impulsion présidentielle ratisse large D'ou vient l'impulsion de cette campagne de « moralisation du marché » qui ne dit pas son nom ? Un « faisceau d'indications » parfois publiques montre la présidence de la république à la source de la plupart des injonctions à l'appareil judiciaire dans l'ouverture d'informations sur des contrats économiques. Le président Bouteflika veut lutter plus activement contre la corruption. C'est l'une des évolutions les plus marquées de « sa vision plus morale des choses » d'après sa sérieuse alerte de santé de novembre 2005 : il ne faut pas laisser se développer « el fassad » sous la responsabilité du « hakam ». Quel en sera l'incidence sur le climat des affaires ? Des opérateurs nationaux et étrangers s'interrogent. D'autres campagnes « mains propres » avaient eu lieu par le passé, notamment soutenu par Ahmed Ouyahia, avant l'ère Bouteflika. « On a réussi à les décrypter avec le recul comme un moyen d'affaiblir la résistance des managers publics face aux projets de privatisations » affirme un ancien administrateur de holdings publics. Cette fois les grilles de lecture se brouillent. « Il y'a deux ans, les avis convergeaient pour expliquer que le président Bouteflika réélu allait naturellement s'attaquer aux places économiques fortes de ses adversaires politiques. Ainsi l'affaire du crédit astronomique à Tonic emballage était l'occasion de réduire l'influence en affaires d'un chef de l'armée connu pour s'être opposé à un second mandat de Bouteflika » affirme le manager public « une affaire qui aurait pu déboucher sur des incarcérations si cela ne risquait pas de renforcer le risque de nuisance à la Badr Bank en compromettant ses chances, déjà minces, d'être remboursée ». Aujourd'hui, la lutte « anti-corruption » part dans toutes les directions. Les managers publics encore et toujours bien sûr avec Algérie Télécom, les transactions de l'ANB ou de l'agence nationale des autoroutes (ANA), mais aussi les patrons privés, presque indistinctement dans différents milieux : l'un des frères Cherfaoui, propriétaires de Blanky (négoce et distribution) un des fleurons du privé des années 2000 a connu la détention provisoire pour des infractions supposées aux règles de transactions, tandis que le patron de SIM (agro-alimentaire), autre poids lourd de l'industrie privée, a été également mis sous contrôle judiciaire dans l'affaire incriminant l'ex-wali de Blida, Bouricha. C'est l'occasion de relever, avec cette affaire de l'ex-wali de Blida, annonciatrice de la campagne actuelle, que les amis du président ne sont plus à l'abri des procédures judiciaires lorsque les infractions suspectées débordent les cercles confidentiels. L'affaire RB and Condor éclabousse le secteur, réputé vertueux, de l'énergie et des mines ou la quasi totalité des transactions connaissent la publicité et la transparence de l'appel d'offres (Baossem). Elle confirme la tendance à la traque systématique de la corruption : mêmes les ministres les plus proches de Bouteflika dans le gouvernement voient des enquêtes se développer contre les entreprises qui opèrent chez eux. Un déficit d'image devenu intolérable Il faut donc se résoudre à l'idée que les ressorts de cette poussée présidentielle contre la corruption sont complexes. « Il ne s'agit plus de petits ajustements des rapports de force dans les affaires » et c'est ce qui semble désorienter les investisseurs. Combien cela va t'elle durer ? Comment va elle peser en bien ou en mal sur le climat des affaires ? Une donne n'a peut être pas été suffisamment prise en compte. L'Algérie est toujours considérée comme un grand pays de corruption. Le dernier rapport de Transparency International (voir article ci contre) n'arrange rien sur ce front. Le rapport de la CNUCED sur la politique de l'investissement en Algérie et l'accueil des IDE (investissements directs étrangers) mettait en 2004 la corruption parmi les freins majeurs à la venue des IDE, aux côtés de l'accès au foncier économique et aux retards du secteur financier. Il existe, depuis deux ans, des progrès pour ces deux derniers obstacles, à l'inverse da la question de la corruption. Pour cet ancien dirigeant du FLN qui connaît « les préoccupations prioritaires de l'institution présidentielle », « ce serait une erreur de croire que Bouteflika convalescent s'est réveillé un matin avec une illumination mystique qui lui a dicté de se mobiliser contre la corruption. Nous sommes dans une réaction classique de la psychologie du président. C'est le fait que l'image de l'Algérie est toujours aussi mauvaise sur ce dossier qui le fait réagir ainsi. Bouteflika n'a pas changé tant que cela. Il est toujours très sensible au regard de l'étranger. Et presque qu'à cela. Cette fois, cela le pousse dans le sens de la moralisation car il s'agit de sa responsabilité. La totalité des malversations dont on parle se sont développés sous son pouvoir politique ». Le procès de l'affaire de la BCIA cette banque privée oranaise qui a organisé, avec la complicité d'un importateur privé, un détournement de 160 milliards de dinars (traites non remboursées) aux dépends d'une banque publique, la BEA, s'ouvre à Oran le 6 novembre prochain et va plonger l'Algérie dans le feuilleton judiciaire des « années magouilles ». Episode suivant ; le jugement de l'emblématique affaire Khalifa.