Comme l'a si bien déclaré le premier responsable de la police, Ali Tounsi, deux attentats aux camions piégés à Réghaïa et à Dergana, à l'est d'Alger, durant la nuit du 30 octobre dernier ont effectivement « réveillé ceux qui dormaient ». Parce que, faut-il le préciser, pendant que les groupes islamistes armés se redéployaient en renforçant leurs rangs à travers le recrutement parmi les membres des familles des terroristes, et en restructurant certaines de leurs phalanges décapitées par les forces de sécurité, les politiques, et à travers leurs discours triomphalistes ont fini par influer négativement sur la vigilance non seulement des citoyens mais également sur ceux-là mêmes chargés de veiller à la sécurité de la collectivité. Une faille que les terroristes ont vite exploitée en cette nuit du 30 octobre 2006, lorsqu'ils ont stationné leurs poids lourds bourrés d'explosifs sous les guérites de surveillance de deux commissariats. UN À DEUX ATTENTATS PAR SEMAINE Une défaillance qui a poussé les plus hauts gradés des services de sécurité à se réunir à Alger, 48 heures après les deux attentats, avec comme ordre du jour un nouveau plan de sécurité pour la capitale et les wilayas du Centre touchées par la recrudescence du terrorisme et où au moins une cinquantaine de personnes, dont une quarantaine de militaires, policiers, gendarmes et gardes communaux ont été tuées depuis uniquement le mois d'octobre dernier. La moyenne nationale des attentats qui était de 1 à 2 par semaine, a connu une hausse considérable pour atteindre 3 à 4 attentats par jour, avec une moyenne de 4 à 5 victimes. Situation qui a appelé à une sérieuse révision de la politique sécuritaire. Pour nos interlocuteurs, il ne s'agit pas d'un nouveau plan proprement dit « mais plutôt d'une réactualisation des consignes en matière de surveillance des bâtiments officiels et des lieux publics, eu égard au recours de plus en plus intense par les terroristes aux attentats aux véhicules piégés et aux embuscades contre les forces de sécurité ». Pour nos interlocuteurs, cette nouvelle donne était prévisible pour deux raisons. « La première est le ralliement du GSPC à Al Qaîda et la seconde est la déconfiture qu'a connue le groupe de Droudkel à la suite des coups assénés par les services de sécurité et les redditions qui ont affecté ses rangs. Il est important de préciser que le groupe salafiste a besoin de montrer à l'opinion internationale et nationale que ses capacités de nuisance sont toujours aussi importantes qu'avant et n'ont pas été affectées par les désertion dans le cadre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Mieux, il a multiplié, pendant l'été dernier et le Ramadhan, sa propagande dans le milieu familial des terroristes afin de les convaincre du djihad en Irak, et une fois les nouvelles recrues dans les maquis, elles se retrouvent prises au piège. Il est important de reconnaître aussi que ce qui se passe en Irak et en Palestine, et le rôle joué par les Etats-Unis dans ces deux crises, joue un rôle très négatif sur la scène sécuritaire algérienne. Beaucoup de jeunes ne voient plus Ben Laden comme un terroriste mais plutôt comme un djihadiste qui défend l'Islam en combattant les troupes US. Nous sommes en train de vivre le même scénario de l'Afghanistan durant les années 1980 », a déclaré notre source. Celle-ci a reconnu que le GSPC a été approvisionné en munitions ces derniers mois. Comment ? Toujours par la filière du Sud. Des repentis ont révélé que le contentieux qui existait entre Mokhtar Belmokhtar, dit Belaouar (le borgne) (émir de la zone 9 ou de la katibat Essahra qui englobe les régions Sud et du Sahel), et le chef du GSPC, a été assaini. « Belmokhtar, chargé par l'organisation de l'approvisionnement en armement et en logistique avait un sérieux problème avec ses fournisseurs. Ces derniers, et depuis les offensives militaires contre les convois d'armement ainsi que la détérioration du climat de confiance, lui réclament le paiement avant toute transaction. Ce que Belmokhtar aurait exigé de la direction de l'organisation. Cette condition a été mal perçue par Droudkel qui, sous la pression de la forte demande, a fini par accepter le deal. Ce qui explique les nombreuses opérations de rapt suivies de demandes de rançon, de braquages de banques et de rackets, notamment cette année. Des sommes colossales ont été ainsi amassées pour servir à l'approvisionnement, notamment en munitions, plus faciles à acheminer. Si certains convois ont été interceptés, notamment entre Batna et Biskra, d'autres ont malheureusement pu échapper à la vigilance des services de sécurité », a déclaré notre interlocuteur, précisant que ces munitions toutes neuves ont été utilisées lors des embuscades menées ces derniers mois contre les services de sécurité, surtout dans les régions du centre du pays. Pour nos sources, le GSPC est aujourd'hui fort non pas par ses effectifs, réduits de 800 à 500, mais plutôt de sa mobilité et de sa dislocation en groupes très réduits, qui se réunissent souvent pour mener une action terroriste. « Rappelez-vous les dernières années du GIA. Ce groupe a connu la même situation, et c'est durant ces derniers moments qu'il a fait le plus de victimes à travers les massacres collectifs, les attentats aux explosifs et aux véhicules piégés. Il est plus facile de repérer une armée de terroristes dans une grande montagne comme celle de Sidi Ali Bounab, ou Mizrana, fief du GSPC, qu'un petit groupe de cinq à six éléments. La lutte antiterroriste est plus difficile à mener aujourd'hui qu'elle ne l'était durant les années 1990. » Selon les mêmes sources, cette lutte se heurte à des facteurs de blocage particulièrement dans certaines régions comme Boumerdès, où réside le plus grand nombre de familles des terroristes encore en activité. « Nous savons que les explosifs utilisés dans les nombreux attentats, ayant eu lieu à l'est d'Alger, ont été acheminés de Boumerdès, dans des véhicules, bien sûr, volés, et les bombes ont été confectionnées par des artificiers identifiés et recherchés dans la région. C'est exactement ce qui se passait avec le GIA lorsqu'il contrôlait totalement le village de Ouled Allel à Sidi Moussa et d'où étaient acheminés toutes les bombes et tous les véhicules piégés qui ont explosé à Alger. Cependant, les montagnes de Boumerdès ne sont pas le village de Ouled Allel. Et l'effort militaire seul ne suffit pas pour mettre hors d'état de nuire ces phalanges de la mort. Il faut que tout le monde soit impliqué, à commencer par les citoyens. La lutte ne peut être menée sans renseignements et sans des mesures d'accompagnement politico-socio-économiques ». Il est indéniable pour les spécialistes que le terrorisme ne soit plus une menace pour les institutions de l'Etat, mais ses capacités de nuisance, même réduites, peuvent constituer un facteur déstabilisant l'environnement socio-économique du pays si une meilleure coordination entre tous les services chargés de la lutte n'est pas de mise. Les deux attentats aux véhicules piégés de Réghaïa et de Dergana ne sont en fait que la logique finale de la baisse de vigilance.