Le moral des chefs des entreprises privées semble globalement en berne. Après des années de dynamisme et de vivacité, la croissance de leurs entreprises affiche une courbe descendante. Et les prévisions de développement n'augurent rien de bon pour les prochaines années. Le pessimisme des entrepreneurs apparaît clairement dans le baromètre mensuel sur les perspectives d'évolution de la production pour les trois mois à venir réalisé par le Forum des chefs d'entreprises (FCE). Le pourcentage des chefs d'entreprise qui escomptaient une hausse de la production est passé de 50% en mai à 44% en juin 2006. Les 6% qui ont changé d'avis entre le mois de mai et celui de juin 2006, ont rejoint, souligne l'enquête du FCE, en majorité les pessimistes (baisse de la production) qui voient ainsi leur pourcentage passer de 13% à 17% soit un gain de 4%. Le fléchissement du secteur a entraîné un manque d'enthousiasme pour l'entreprenariat privé. Les chiffres le montrent : le nombre d'intentions d'investissements exprimées au niveau de l'Agence nationale de développement de l'investissement (Andi) est passé de 13 102 projets en 2000, totalisant 798 milliards de dinars, à 3484 projets en 2004 pour un montant de 389 milliards de dinars. Même le ministre de la Participation et de la promotion de l'investissement, M. Abdelhamid Temmar, a exprimé son inquiétude quant au ralentissement du privé national. Les propos tenus par Temmar devant les éditeurs de presse devaient cependant sonner mal aux oreilles des entrepreneurs privés. La plupart d'entre eux considèrent, en effet, que ce fait est inextricablement lié à la lenteur des réformes économiques. Pour eux, le ministre n'a aucun procès à intenter au secteur privé, la politique de l'Etat étant la principale responsable de leur déroute. Ils égrènent un long chapelet des reproches aux politiques de l'Etat : manque de visibilité, mauvaise gestion du foncier, faible performance du système financier, retard accumulé en matière d'infrastructures de base, lenteurs des procédures administratives, non disponibilité d'informations fiables, le poids de l'économie informelle, l'accès au crédit, le coût du crédit, l'absence de mécanismes de garantie, insuffisance des incitations fiscales… Aussi, les propos tenus par Temmar frisent-ils, aux yeux du patron de la CGEA Yousfi, " la provocation ". " Il est impératif que l'Etat s'engage dans un programme de mise à niveau des entreprises privées. L'Etat doit être conscient de la nécessité des entreprises privées, sinon il aura perdu sa crédibilité (…) d'autant qu'avec la deuxième période de l'accord d'association avec l'Union européenne, il n'y a pas de grosses entreprises algériennes qui peuvent se mesurer aux géants européens. Il faut que les efforts s'accélèrent ", nous a-t-il affirmé. En clair, et comme nous le disent des économistes, en critiquant le secteur privé, l'Etat critique son propre bilan. " L'Etat a le secteur privé qu'il mérite ", tranche un spécialiste du secteur. Le patron de la Confédération algérienne des patrons (Cap), M. Marrakech estime, pour sa part, que le ralentissement du secteur privé était " prévisible ". " La tendance à la baisse est liée à l'environnement et l'erreur revient à l'Etat. . Si ça continue à ce rythme, dans trois ans, il n'y aura plus rien ", soupire-t-il. Le même discours est repris par les représentants du Forum des chefs d'entreprises. Ils s'interrogent sur le fait que les entreprises privées ne soient pas consultées par les pouvoirs publics dans la politique globale de l'investissement alors qu'elle est un facteur déterminant dans l'économie. Le FCE craint de voir "le marché formel englouti par l'informel tellement ce dernier est devenu puissant en Algérie". L'un des chefs d'entreprises qui a le mieux réussi en Algérie, M. Issaad Rabrab, a, lui aussi, critiqué le fait que le privé algérien soit marginalisé. Il n'a cessé, dans toutes les conférences, tous les forums et tous les séminaires auxquels il a participé, de ressasser l'expérience sud-coréenne. L'Algérie devrait, d'après lui, s'inspirer de la Corée du sud qui a dopé sa croissance économique en misant sur les entreprises privées (dont Samsung, LG et Hyundai). Aujourd'hui, estime-t-il, si les investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon, c'est justement parce qu'ils voient le sort qui est réservé aux opérateurs économiques locaux dont les initiatives rencontrent beaucoup d'obstacles. Il estime qu'il serait plus judicieux, pour l'Etat algérien, de miser sur les entreprises privées algérienne. Il relèvera, à cet effet, qu'en 2010, les entreprises étrangères implantées en Algérie vont transférer 14 milliards de dollars de dividendes alors que si les Algériens étaient encouragés, ils auraient réinvesti ce montant en Algérie. Les chefs d'entreprises se plaignent surtout de ce qu'ils soient complètement exclus du processus de privatisation. Certains d'entre eux assurent que les cahiers des charges sont faits de sorte que les Algériens soient évincés. Le patron du groupe Cevital affirme avoir été victime à plusieurs reprises de cette politique alors qu'il est certain d'avoir offert les meilleures conditions de reprise (prix, paiement cash, création d'emplois supplémentaires, augmentation des capacités de production etc.). La rigueur de procédure est selon lui un leurre car le fait de proposer la meilleure offre ne garantie nullement d'emporter l'adjudication, les décideurs pouvant faire valoir à leur guise des éléments qu'eux seuls maîtrisent (évaluation patrimoniale, prix minimum de cession). Une situation fait dire à des économistes que " la seule ambition de l'Etat est de vendre aux investisseurs étrangers ".