Pour la seconde fois, le collectif Notre Algérie bâtie sur des idées nouvelles (Nabni) a participé à la tripartite organisée par le gouvernement. Une tribune de plus pour rappeler que les mesures prises pour réformer l'économie et la gouvernance ne sont pas suffisantes. - En 2011, lorsque Nabni a dressé son premier diagnostic et fait ses premières propositions, vous espériez être entendus par les décideurs. Cette semaine, vous avez participé, pour la seconde fois, à la tripartite. Dans un environnement où il est très difficile pour la société civile de se faire entendre par le gouvernement, considérez-vous cela comme une victoire ? On ne peut pas considérer les contacts avec les pouvoirs publics comme une victoire. Pas plus une participation à la tripartite, d'autant que nous avons été reçus auparavant par le Premier ministre, par plusieurs ministres et par le président de l'Assemblée nationale. Il est vrai que les gens, y compris parmi ceux avec qui on ne partage pas beaucoup de choses, ont compris que nous étions sérieux. Mais la victoire serait que nos propositions soient mises en œuvre, que le gouvernement adopte un véritable plan de réforme. Or, pour l'instant, nous ne voyons pas les prémices d'une telle démarche. La réponse des pouvoirs publics n'est pas à la hauteur des enjeux. - Êtes-vous d'accord pour reconnaître que tout de même, il y a eu, au plus haut niveau, une prise de conscience de l'urgence de changer de cap ? Oui, nous l'avons constaté lors de la tripartite : il y a une évolution dans le discours. Les décideurs ont acté que notre problème n'était pas uniquement lié au prix du baril mais à l'économie rentière, à la structure de notre bureaucratie, à la gouvernance. Ceci dit, il y a une impatience de plus en plus palpable des acteurs à voir une feuille de route avec des responsabilités et des échéances. - Le gouvernement est également prêt à revenir sur ce qui était, il y a encore peu de temps, des tabous politiques : le recours à l'endettement extérieur ou la révision des subventions… Il n'a pas le choix. Le recours à l'endettement extérieur, comme le partenariat public-privé, est inévitable. En 2011, Nabni proposait des réformes avec un peu de sueur. Les gouvernants ont tardé, du coup, les sacrifices devront être faits aussi avec des larmes si on ne veut pas les faire dans le sang. Regardons ce qui se passe au Venezuela. La comparaison nous montre que même si les deux pays sont différents, les situations, toute proportion gardée, peuvent se dégrader. - En parlant de larmes, vous évoquez la question des retraites ? Il y a d'abord l'effritement du pouvoir d'achat des classes moyennes supérieures, celles qui ont profité des revalorisations de salaire et qui vont revenir à un taux de revenu réel d'avant augmentation. Ensuite, en effet, les catégories sociales attenantes seront touchées. Les gens ne pourront plus partir à la retraite comme ils l'avaient prévu et leur pouvoir d'achat sera de plus en plus affecté par l'inflation. Ils subiront de manière générale les effets différés de la baisse des dépenses publiques dans certains secteurs. Aujourd'hui –et nous nous en félicitons– il n'y a pas de réductions drastiques, le gouvernement dit qu'il veut maintenir le développement et l'investissement, mais encore faut-il qu'il puisse le faire. Or, on le voit dans le bâtiment, les pouvoirs publics ont annoncé qu'ils allaient abandonner les projets non encore initiés. La commande publique a été tellement importante qu'elle a irrigué tout le secteur. En s'arrêtant, la machine s'arrête. Concrètement, cela va se traduire par des licenciements et une hausse du chômage. - Pour la mise en application des réformes, Nabni a proposé la création d'une delivery unit, inspirée de celles adoptées par d'autres gouvernements. Concrètement, de quoi s'agit-il ? Une delivery unit est une structure, une unité d'élite chargée de faciliter la mise en œuvre des réformes et travailler sur les points de blocage. La question à se poser est : le gouvernement est-il suffisamment doté en ressources pour coordonner des réformes et en faciliter la mise en oeuvre ? Nous n'inventons rien : la Grande-Bretagne, la Malaisie, les EAU, le Rwanda, le Sénégal, l'Albanie et d'autres pays y ont eu recours. A l'époque où il était chef de gouvernement, Tony Blair a jugé que ce n'était pas le cas. M. Sellal pourrait également avoir l'humilité de reconnaître que le gouvernement algérien n'est pas non plus assez pourvu pour conduire à bien de telles missions. L'idée, c'est qu'à côté des institutions conventionnelles, des équipes plus souples, composées de compétences de très haut niveau, sont mises en place pour identifier les problèmes et poser les solutions, pour mâcher en quelque sorte le travail et aider la primature à faire des arbitrages. - Depuis cinq ans, Nabni fonctionne comme un think tank qui a toujours fait attention à ne pas commenter l'actualité, à ne pas devenir entrer dans l'action politique. Vous qui pensez «global», ne craignez-vous pas d'être réduits à un groupe de réflexion algérois, francophone, un peu élitiste ? Ce débat entre réflexion et action, nous l'avons déjà eu en 2011. Nous avons choisi de fournir des analyses documentées, et même si parfois ce mode de fonctionnement peut s'avérer frustrant, c'est ce que nous savons faire. Et puis nous faisons évoluer notre discours, nous lançons d'autres chantiers. Avec «Algérie rêvée»*, nous allons sur des domaines comme le sport, la ville, la culture. Nous laissons à d'autres le choix de faire de la politique.