Ouafia Adel est archéologue,chercheur permanent au Centre national de recherche en archéologie (CNRA). Elle a aussi été à la tête de la direction de la culture de la wilaya de Guelma et celle de la wilaya de Souk Ahras, et enseigné la restauration, la conservation, la céramologie et l'histoire de l'art et de l'architecture antique à l'université de Guelma. - Quelle est la valeur de cette découverte ? Il s'agit d'un sarcophage entier en calcaire ayant de merveilleux bas-reliefs sur trois faces de la cuve. Le sujet est unique en Algérie et spécifique à la région de Cirta apparemment. Nous pouvons admirer sur la face centrale de la cuve des masques funéraires aux expressions tragiques, interceptés par des bucranes, le tout est couronné par des guirlandes fruitées. A un niveau plus bas, se dressent des dauphins et des vagues de la mer. La fouille du sarcophage a mis au jour des ossements humains appartenant à trois individus adultes. Le sarcophage a été ouvert à plusieurs reprises pour les différentes inhumations. On a souvent pensé que les sarcophages ornementés de bas-reliefs sont commandés de l'autre rive de la Méditerranée, où deux grandes écoles règnent en maîtres dans ce domaine (l'une à Rome et l'autre en Grèce). Néanmoins, les techniques de taille et de sculpture sur notre modeste sarcophage en calcaire démontrent que Cirta avait son atelier. Cette approche serait appuyée par le fait suivant : un fragment de sarcophage au décor similaire a été découvert à Constantine à l'époque coloniale, il se trouve actuellement au Musée du Louvre à Paris. Un autre sarcophage très ressemblant à celui que nous venons de découvrir a été vu et dessiné par Louis Piesse en 1847, toujours à Constantine, mais qui a étrangement disparu peu après. En fait, de tous les sarcophages de l'époque romaine trouvés en Algérie, seuls ceux de Cirta traitent le même sujet au niveau des bas-reliefs. On n'en dira pas plus, car une éventuelle publication sera plus détaillée. - Comment avez-vous procédé pour déterrer le sarcophage ? Nous avons tout d'abord géo-positionné le site et procédé à une délimitation provisoire. Nous avons ensuite utilisé des élingues (sangles) soulevées avec précaution par une petite pelle mécanique, sous la direction et les yeux attentifs de toute l'équipe. C'est le même procédé qui a été utilisé par les experts de l'Inrap pour déplacer la fontaine découverte sur le chantier de fouilles au Métro d'Alger. Un sarcophage ne peut être déplacé avec un bistouri et des truelles, ni avec une force humaine, bien évidemment. - Ce n'est pas votre première découverte à Constantine, en 2014 vous avez découvert un cimetière familial à Sidi Affene... Effectivement, nous n'en sommes pas à notre première découverte à Constantine. En 2014, nous avons effectué des sondages archéologiques dans la mosquée de Sidi Affane construite à l'époque ziride et située pas très loin de Bab El Djabia, dans la Souika. La découverte paraît tout d'abord insolite : plusieurs tombes musulmanes sous briques, sous dalles, dans la salle de prière ! Nos recherches nous ont menés aux différents états de siège qu'a connus la ville aux différentes époques médiévales et ottomane, ce qui rendait les inhumations extra-muros quasiment impossibles. Cela obligea les assiégés à ensevelir leurs morts dans quelques mosquées. Cette approche est appuyée par un édit remontant au XVIIIe siècle, promulgué par Salah Bey en personne, où il donna l'ordre de réhabiliter plusieurs mosquées délabrées et détournées de leur fonction initiale. Dans la liste des mosquées concernées par la réhabilitation, la mosquée de Sidi Affane est citée. Il est vrai que la présence de tombes d'époque musulmane dans la salle de prière d'une mosquée peut paraître un phénomène ambigu, voire insolite, toutefois, ce fait laisse suggérer plusieurs hypothèses plus ou moins plausibles, mais qui nécessitent des recherches sérieuses et approfondies. Nous pensons plus exactement aux différents états de siège qu'a subis la ville et qui auraient pu pousser les habitants à inhumer en intra-muros, voire dans certains édifices religieux abandonnés, vu l'exiguïté de la cité. Par ailleurs, le fait d'inhumer dans un espace religieux fermé est connu à l'époque ottomane. Il était réservé surtout au souverain, sa famille (princes, princesses et leurs enfants), certains notables et aux sages et savants dans le domaine de la religion qu'on nommait les saints de la ville, comme c'est le cas dans Tourbet El Bey et Tourbet Aziza, à Tunis. - Vous avez aussi découvert des vestiges romains à Bab El Kantara… En ce qui concerne les vestiges découverts dans le chantier de la grande bibliothèque urbaine, il s'agit en fait des piles de la fameuse porte monumentale à trois baies, appelée jadis par les habitants Ksar El Ghoula, citées dans plusieurs anciens ouvrages, notamment l'Atlas archéologique de l'Algérie de Stéphane Gsell, en 1911 et Monuments antiques de l'Algérie du même auteur. Au XVIIIe siècle, Thomas Shaw, un diplomate anglais reçu par Salah Bey, fit une esquisse de la porte à trois baies lors de sa visite à Constantine. Là aussi c'était une découverte fortuite. Lors des travaux de terrassement qu'on effectuait dans le cadre de la réalisation de la grande bibliothèque urbaine, la pelle mécanique a déterré d'énormes pierres de taille de couleur bleue grisâtre, portant des traces, décelant une architecture monumentale. Suite à cela, nous avons arrêté partiellement les travaux et avons agi en urgence en effectuant des sondages archéologiques qui nous ont permis de mettre au jour les piles à trois baies de l'antique Cirta. La documentation écrite dans ce sens datant des XVIIIe, XIXe et début du XXe siècles, ainsi que la prospection aux environs immédiats du lieu de la découverte nous ont beaucoup enseigné sur la nature de cette structure monumentale. - Quelle est la suite de votre opération ? Pour la délimitation finale, les sondages archéologiques sur les lieux seront déterminants pour un éventuel classement. Le site ferait un intéressant projet de recherche et un chantier-pilote pour la formation des jeunes étudiants en archéologie de l'université de Constantine. Le fait est là : le sarcophage est sain et sauf et c'est une équipe d'experts algériens du CNRA qui a réussi à sécuriser cette magnifique pièce archéologique, et c'est en fait, une première depuis l'indépendance. Je suis contente aussi d'avoir permis à de jeunes archéologues de la direction de la culture de Constantine de se former sur le terrain en nous assistant. Je tiens à rendre hommage à toute mon équipe pour cette performance et remercier toutes les personnes qui ont contribué pour la réussite de notre mission!